Clauses d’exclusion : revirement sur les contrats d’assurance étrangers

Le 19 décembre 2024 (Cass. civ. 2, 19 décembre 2024, n° 22-17.119), la Cour de cassation a rendu un arrêt marquant destiné à la publication au Bulletin sur l’application des dispositions d’ordre public du Code des assurances français aux polices d’assurance régies par des droits étrangers. Ce revirement intervient après des critiques doctrinales et professionnelles suscitées par des arrêts controversés de 2023. Cette décision pose des questions fondamentales sur la portée internationale des lois de police françaises et sur leur interaction avec le droit international privé, en particulier dans un contexte d’assurance multinationale.

Analyse des faits liés aux clauses d’exclusion

Le litige à l’origine de cet arrêt concerne un sinistre survenu dans un élevage de chevaux équipé de panneaux photovoltaïques. En 2009, la société Font noire énergie avait confié l’installation des panneaux à une entreprise ultérieurement placée en liquidation judiciaire. Ces panneaux, défectueux, ont causé un incendie en 2012 et d’autres dysfonctionnements en 2013. Plusieurs sociétés d’assurance étaient impliquées dans ce dossier complexe, notamment AIG Europe et Allianz Benelux, en tant qu’assureurs des fabricants et fournisseurs. Face à ces préjudices, la société Font noire énergie a engagé des actions en responsabilité contre ces assureurs, invoquant le bénéfice des dispositions du Code des assurances français, notamment les articles L. 112-4, L. 113-1 et L. 124-3.

L’un des points litigieux portait sur des clauses d’exclusion contenues dans des contrats soumis au droit néerlandais. Ces clauses limitaient la garantie responsabilité civile à deux ans après la livraison des produits défectueux, ce qui réduisait fortement les droits des victimes potentielles en France. La société Font noire énergie, invoquant l’ordre public français, demandait l’invalidation de ces clauses.

Critiques de l’ancien régime des contrats d’assurance

En 2023, la Cour de cassation avait posé une règle relativement stricte selon laquelle les dispositions d’ordre public des articles L. 112-4 et L. 113-1 du Code des assurances étaient applicables, « quelle que soit la loi régissant le contrat ». Cette interprétation avait été vivement critiquée, car elle assimilait l’ordre public interne français à l’ordre public international. Or, en droit international privé, seules les dispositions nécessaires à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de l’État peuvent être qualifiées de lois de police.

Cette rigidité avait généré une certaine insécurité juridique, notamment pour les assureurs étrangers opérant en France dans le cadre de contrats soumis à des droits étrangers. Ces derniers étaient confrontés à une application systématique des normes françaises, même lorsque les parties avaient expressément choisi un autre droit applicable. Cette situation était perçue comme incompatible avec les principes de la Convention de Rome et du Règlement Rome I.

Impact et enseignements de l’arrêt du 19 décembre 2024

La décision du 19 décembre 2024 marque un retour à une approche plus nuancée et conforme aux standards internationaux. La Cour de cassation, s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), a examiné si les dispositions en cause répondaient à la définition de lois de police, c’est-à-dire des règles impératives protégeant des intérêts essentiels de l’État.

La Cour a jugé que l’article L. 124-3 du Code des assurances, qui interdit les clauses limitant la durée de la garantie à moins que la durée de la responsabilité de l’assuré, ne constitue pas une loi de police. Elle a ainsi précisé que cette disposition, bien qu’impérative en droit interne, n’était pas nécessaire à la sauvegarde de l’organisation politique, sociale ou économique de la France. En conséquence, la validité des clauses litigieuses devait être appréciée selon le droit néerlandais, choisi par les parties au contrat.

Cette décision a plusieurs implications pratiques majeures. Tout d’abord, elle offre une plus grande sécurité juridique aux assureurs étrangers, qui ne seront plus systématiquement soumis aux exigences formelles du Code des assurances français. Ensuite, elle clarifie les limites de l’ordre public français dans un contexte international, en renforçant le respect des choix des parties concernant le droit applicable. Enfin, elle ouvre la voie à une analyse plus approfondie de la nature des articles L. 112-4 et L. 113-1, qui pourraient, à l’avenir, être également exclus du champ des lois de police.

Synthèse : un tournant pour l’assurance internationale

L’arrêt du 19 décembre 2024 constitue une évolution importante dans la jurisprudence relative à l’application des dispositions d’ordre public aux polices d’assurance de droit étranger. En adoptant une approche davantage alignée sur les standards internationaux, la Cour de cassation réduit les tensions entre droit interne et droit international privé. Cette décision illustre également le défi permanent de concilier la protection des victimes avec le respect des principes de sécurité juridique et de liberté contractuelle dans un contexte de mondialisation croissante des relations économiques et juridiques.

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