Le contentieux relatif au recours subrogatoire de l’assureur suscite un intérêt croissant, notamment en raison des implications pour les assureurs affiliés aux conventions de France Assureurs (FA).
À cet égard, de récentes décisions de justice apportent des éclaircissements significatifs, impactant la pratique des assureurs. Cet article vise à analyser ces décisions et à en dégager les principales implications pour les acteurs du secteur.
Règles et Procédures de la Convention CORAL Expliquées
La Convention CORAL, mise en place par les sociétés adhérentes FA, instaure une série de procédures visant à régler amiablement les litiges entre assureurs. Elle couvre différentes branches d’assurance, particulièrement la responsabilité civile générale, les dommages aux biens et les accidents de la circulation.
La convention comprend une commission d’application chargée de suivre son application, une instance arbitrale composée de trois arbitres, et un secrétariat assuré par le GIE « Gestion des conventions d’assurance ».
Avant de recourir à la conciliation ou à l’arbitrage, les sociétés adhérentes doivent épuiser toutes les voies de recours dans le cadre d’une procédure d’escalade en deux échelons (article 4 de la Convention « CORAL ») :
- l’échelon « chef de service » : en cas de refus total ou partiel à une première demande ou en cas de non-réponse à celle-ci dans le délai de 60 jours ;
- l’échelon « direction » : en cas de refus total ou partiel à la demande au niveau chef de service ou en cas de non-réponse à celle-ci dans le délai de 60 jours.
Obligatoire dans certains cas (montant inférieur ou égal à 50 K€) et facultative dans d’autres, la conciliation est déclenchée par une demande au secrétariat en cas de désaccord persistant. Les parties doivent être présentes ou représentées lors de la réunion de conciliation. Un procès-verbal de conciliation est établi, formalisant l’accord ou le désaccord des parties.
En cas de désaccord persistant après la conciliation, le demandeur peut saisir l’instance arbitrale en adressant un mémoire au secrétariat. L’instance arbitrale instruit le dossier et rend une sentence dans les six mois de la clôture des débats. La sentence est exécutoire de plein droit et n’est pas susceptible d’appel, sauf dans les cas de nullité prévus à l’article 1492 du Code de procédure civile.
Conséquences Juridiques du Non-respect de la Convention CORAL
La sanction du non-respect de cette procédure a été récemment confirmée par la Cour de cassation, dans un arrêt du 25 janvier 2024. En effet, la Cour a rappelé que c’était bien l’irrecevabilité de l’assignation, en application de l’article 122 du Code de procédure civile qui trouvait à s’appliquer, et non la nullité. (Cass., 3e Civ., 25 janvier 2024, n°22-22.681).
Cette fin de non-recevoir peut être soulevée « en tout état de cause », c’est-à-dire y compris pour la première fois en appel, comme le précisent différents récents arrêts de cours d’appel (Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, 6 juillet 2023, n°22/14892 ; Cour d’Appel de Paris, 2 février 2024, n°23/02555).
Application de la Convention CORAL
Opposabilité aux tiers
Les dispositions de la Convention CORAL n’étaient habituellement pas opposables aux victimes, assurés ou tiers, selon une jurisprudence constante bien établie. (Voir notamment les arrêts Cour d’Appel de Bordeaux, 13 novembre 2023, n°23/01644 et 25 janvier 2024, n°23/03092 ; Cour d’Appel de Versailles, 25 janvier 2024, n°22/04691).
Cependant, une récente décision de la Cour d’Appel de Rennes remet en question ce principe en se fondant sur l’article 6 de la Convention (CA Rennes, 3 avril 2024, n°23/04173). La Cour estime que bien que les « dispositions [de la convention CORAL] s’imposent aux assureurs adhérents, mais sont inopposables aux victimes et aux tiers », l’article 6 de la convention indiquerait que : « l’assuré bénéfice des règles conventionnelles dès lors qu’elles sont plus favorables que celles du droit commun ».
Cependant, ce texte semble aborder les dispositions concernant la prescription et la forclusion, et suscite des interrogations quant à l’étendue de son application par la Cour d’appel de Rennes. Il est donc nécessaire de rester attentif à la possibilité d’un pourvoi en cassation.
Application entre assureurs adhérents
Un récent arrêt du Tribunal judiciaire de Paris, rendu le 4 avril 2024, semble considérer que la Convention CORAL s’applique à tous les litiges entre assureurs, quelle que soit la nature du recours exercé, (TJ Paris, JME, 4 avril 2024, n°23/02989).
Cependant, jusqu’à présent, il avait été déterminé que la convention CORAL ne s’appliquait pas lorsque l’assureur de la victime d’un dommage n’avait pas entamé une procédure indépendante contre l’assureur du responsable, mais avait simplement sollicité sa garantie suite à une action initiée à son encontre.
La Cour d’Appel de Rouen avait ainsi jugé que, dans le cadre de l’appel en garantie, l’action de l’assureur était intrinsèquement liée à celle de la victime assurée, qui n’était pas partie à la convention, et avait donc exclu l’application de la convention CORAL pour cette raison (CA Rouen, 23 janvier 2013, n° 12/02031 ; de même : CA Paris, 11 mai 2023, n°21/04603).
Cette décision était d’autant plus justifiée que la Convention stipule clairement qu’elle ne concerne que les recours subrogatoires. Cette restriction semblait logique, car un assureur non subrogé n’a pas la capacité de demander une indemnisation à l’assureur du tiers responsable.
Il est donc très probable que cet arrêt soit infirmé en appel.
Implications des Décisions Judiciaires sur la Convention CORAL
En conclusion, les récentes décisions judiciaires mettent en lumière les enjeux et les limites de la Convention CORAL dans le cadre du contentieux entre assureurs. Si cette dernière vise à favoriser le règlement amiable des litiges, sa mise en œuvre soulève des questions complexes et donne lieu à des débats jurisprudentiels.
Il importe donc aux acteurs du secteur de rester attentifs à l’évolution de la jurisprudence et de se conformer aux exigences de la convention pour éviter toute irrégularité dans les procédures.