Le 7 novembre 2024, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt (n° 22-14.088) qui éclaire la notion de préjudice de jouissance dans le cadre des travaux de construction. Cet arrêt insiste sur l’exigence d’un lien de causalité direct entre le dommage invoqué et la faute commise par le débiteur contractuel. Rappelant les principes fondamentaux de la responsabilité contractuelle, la Haute juridiction dessine les contours de la réparation du préjudice de jouissance en se prononçant sur le lien de causalité.
Une décision révélatrice des exigences du droit positif
En droit de la responsabilité contractuelle, le préjudice de jouissance constitue un dommage fréquemment revendiqué par les maîtres d’ouvrage. Cependant, sa réparation est conditionnée par la preuve d’un lien de causalité entre la faute de l’entrepreneur et le dommage allégué par le maître d’ouvrage. Dans cet arrêt publié au Bulletin, la Cour de cassation a ainsi précisé les critères de ce lien, fixant ainsi une limite claire aux prétentions qui se voudraient insuffisamment justifiées.
Les faits : un contentieux de la construction classique
En l’espèce, un couple avait confié à un entrepreneur l’exécution de travaux d’extension de sa maison. La réception de l’ouvrage, intervenue le 21 décembre 2012, fut suivie de la découverte de désordres. Les maîtres d’ouvrage assignèrent alors l’entrepreneur et son assureur en référé-expertise, puis au fond, en vue d’obtenir la réparation des préjudices subis.
Au centre du litige se trouvait une demande d’indemnisation pour préjudice de jouissance couvrant la période postérieure à la date à laquelle ils avaient reçu une somme leur permettant d’exécuter les travaux (1ᵉʳ janvier 2021). Les juges d’appel, tout en accordant une indemnité pour la période antérieure, rejetèrent la demande relative à la période postérieure. Ils motivèrent leur décision par l’absence de lien de causalité entre les manquements de l’entrepreneur et le préjudice allégué après la date où les travaux auraient pu être exécutés grâce aux sommes perçues par les maîtres d’ouvrage.
Le régime antérieur – entre réparation intégrale et causalité stricte
Le droit de la responsabilité civile repose notamment sur deux principes cardinaux : le droit à une réparation intégrale du préjudice et l’exigence d’un lien de causalité entre la faute du débiteur et le dommage subi par la victime. La jurisprudence établie en la matière a toujours tenté de fait preuve de pragmatisme dans la démonstration du lien de causalité. La position prise par les juridictions varie en fonction du résultat recherché et se fonde sur des indices et des présomptions qui, dans certains cas, peuvent être établis par la loi ou la jurisprudence dans une perspective d’indemnisation des victimes.
En rejetant le pourvoi du couple, la Cour de cassation entérine une interprétation stricte dans la démonstration du lien de causalité visant à indemniser les victimes d’un manquement contractuel.
Les juges d’appel avaient en effet relevé que les maîtres d’ouvrage avaient reçu une somme leur permettant de réaliser les travaux de reprise et que leur inaction avait rompu le lien entre les désordres initiaux et le préjudice de jouissance invoqué pour la période postérieure au 1er janvier 2021.
Cette approche met en exergue l’exigence d’une démonstration d’un lien de causalité direct et certain qui semble fidèle aux critères dès lors établis par la jurisprudence.
L’impact pratique de l’arrêt – un équilibre entre le principe de réparation intégrale et la sécurité juridique
Cet arrêt, bien que fidèle aux principes fondamentaux du droit de la responsabilité civile, emporte des conséquences pratiques significatives.
- Une responsabilisation accrue des maîtres d’ouvrage
Les victimes de désordres sont tenues d’agir avec diligence pour limiter leur dommage. Toute inertie de leur part, en dépit des moyens financiers reçus pour effectuer les réparations, pourra rompre le lien de causalité avec le manquement initial de l’entrepreneur.
- Une clarification pour les professionnels
Les entrepreneurs et leurs assureurs se voient offrir une sécurité juridique accrue. Ils ne sauraient être tenus responsables de préjudices de jouissance consécutifs à l’inaction ou au manque de diligence des maîtres d’ouvrage.
- Un impact transversal
Bien que centré sur le domaine de la construction, cet arrêt pourrait inspirer des cas de réparation du préjudice de jouissance similaires, dans d’autres secteurs, consolidant les critères du lien de causalité.
Un cadre renforcé de la réparation du préjudice de jouissance
Par cette décision, la Cour de cassation confirme que la réparation du préjudice de jouissance ne saurait être déconnectée d’une preuve rigoureuse du lien de causalité. Cet arrêt, à la croisée du droit de la construction et des principes généraux de la responsabilité, réaffirme l’importance de l’équilibre entre la protection des victimes d’un manquement et la sécurité juridique des débiteurs. À travers cette exigence renforcée, la Haute juridiction dessine un cadre plus précis pour les justiciables, mais aussi plus responsabilisant, tout en renforçant la cohérence de la jurisprudence en matière de responsabilité civile.
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