La responsabilité des constructeurs dans le domaine de la construction est un sujet complexe qui soulève des questions importantes quant à la répartition des charges et des responsabilités. Dans cet article, nous examinerons de près les récents développements juridiques de l’arrêt de la Cour de cassation du 1ᵉʳ février 2024, n°22-21.025 qui ont apporté des clarifications sur ce sujet.
Comprendre la Responsabilité Collective dans le Secteur de la Construction
Mis à part le fabricant d’éléments pouvant donner lieu à une responsabilité solidaire, les relations entre les parties sont souvent basées sur une co-obligation. Cependant, dans la pratique, les dommages survenus à l’ouvrage construit conduisent généralement à une responsabilité partagée entre plusieurs intervenants qui ont contribué, ensemble, à la réalisation de l’ouvrage.
Bien que le maître de l’ouvrage puisse trouver un certain avantage dans la solidarité pour garantir le paiement des indemnités qui lui sont dues, cette même solidarité peut mettre en péril les autres intervenants, les exposant à des dommages bien plus importants que leur part de responsabilité réelle.
Ainsi, lorsque l’un des intervenants est confronté à une action en responsabilité de la part du maître de l’ouvrage, il est courant qu’il engage à son tour des actions en justice pour éviter de supporter seul le poids financier de la condamnation solidaire. Ces actions sont souvent désignées sous le nom de recours entre coobligés.
Cette logique s’applique également aux assurances responsabilité des différents intervenants, coobligés à la dette de réparation. En vertu de l’article L.124-3 du Code des assurances, un tiers lésé a le droit de poursuivre l’assureur du coobligé responsable du dommage. En effet, le coobligé qui paye la part d’un autre coobligé est manifestement lésé et est donc en droit de former une action en justice.
Principes et Fondements des Recours en Cas de Responsabilités Partagées
Deux principes sont généralement acceptés pour justifier cette action.
Tout d’abord, lorsque celui qui est exposé à payer au-delà de sa part contributive souhaite agir, il peut initier une action subrogatoire. En d’autres termes, il peut faire valoir la subrogation avant même d’être formellement condamné, sans attendre l’exécution de la sentence en première instance. Cette pratique, également connue sous le nom d’action subrogatoire in futurum ou recours ante-subrogatoire, permet au débiteur de gagner du temps dans la procédure. En effet, dès que le juge statue et que les débiteurs sont condamnés in solidum, sous réserve d’une exécution dépassant la part à laquelle il est tenu, le débiteur a le droit de réclamer au codébiteur le paiement de sa part.
Un deuxième fondement est également admis, distinct du précédent. Il s’agit de la possibilité de former un recours au titre du droit procédural fondamental, qui stipule que toute partie exposée à une action a le droit de se retourner contre ceux envers qui elle aurait un recours. Ce recours est communément appelé appel en garantie et est généralement fondé sur l’article 334 du Code de procédure civile.
Interaction entre l’Action Directe et l’Appel en Garantie : Un Cadre Juridique Complexifié
Le présent arrêt soulève une problématique découlant de l’articulation entre deux fondements juridiques : l’action directe et l’appel en garantie.
Traditionnellement, pour qu’une action directe soit recevable, il était nécessaire de démontrer que l’assuré engageait sa responsabilité. Cela impliquait souvent de mettre en cause directement l’assuré dans la procédure. Néanmoins, depuis un arrêt du 7 novembre 2000 (Cass. civ. 1e, 7 nov. 2000, n°97-22.582 ), la Cour de cassation a établi que « la recevabilité de l’action directe n’est pas subordonnée à l’absence de l’assuré par la victime ». Ainsi, un tiers lésé peut démontrer, même en l’absence d’assuré, que celui-ci est responsable, et demander la condamnation de son assureur conformément à l’article L. 124-3 du Code des assurances.
Cependant, une certaine incertitude régnait quant à la nécessité de mettre en cause l’assuré dans le cadre de l’appel en garantie. Une décision de justice datant du 27 avril 2011 (Cass. civ. 3e, 27 avril 2011, n°10-13.639) semblait indiquer que cette mise en cause était indispensable, ce qui pouvait créer des complications procédurales.
En effet, cet arrêt ; bien qu’inédit, avait retenu l’attention de la doctrine puisqu’il offrait un moyen potentiel d’obtenir l’irrecevabilité de la demande d’appel en garantie.
Dernières Clarifications de la Cour de Cassation et Leurs Conséquences sur la Répartition des Responsabilités
Cette incertitude a été dissipée par la décision de la Cour de cassation du 1ᵉʳ février 2024. Celle-ci a affirmé que « dans la mesure où la mise en cause de l’assuré n’est pas indispensable pour statuer tant sur le principe que sur l’étendue de sa responsabilité, exiger cette mise en cause en cas d’action en garantie contre l’assureur entraverait de manière injustifiée l’exercice des actions récursoires. Il y a donc lieu de juger que, comme en matière d’action directe du tiers lésé, la recevabilité de l’action en garantie dirigée contre un assureur n’est pas subordonnée à la mise en cause de son assuré ».
Cette clarification juridique est importante, car elle garantit une répartition équitable des charges entre les coobligés, préservant ainsi l’équilibre des responsabilités dans le domaine de la construction. Rappelons à cet égard que la responsabilité finale de la dette repose principalement sur l’assureur de responsabilité, ainsi dans de nombreux cas, la mise en cause de l’assuré ne semble ni essentielle ni fondamentale.
En fin de compte, cette règle permet de préserver les intérêts fondamentaux en assurant une répartition juste et équilibrée des responsabilités et des coûts entre les parties impliquées dans la construction, tout en préservant le principe de la contradiction et en évitant les complications procédurales inutiles.