L’erreur excusable et le droit des contrats : une analyse de l’arrêt de la Cour de cassation du 4 décembre 2024
L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 4 décembre 2024, n° 23-17.569 (à paraître au Bulletin et choisie pour être publié aux Lettres de chambre) s’inscrit dans une longue série jurisprudentielle visant à délimiter la notion d’erreur excusable en droit des contrats. Cet arrêt, mêlant à nouveau art et théorie générale des obligations, offre une illustration des enjeux liés au vice du consentement et met en évidence le rôle de l’appréciation in concreto dans l’évaluation de l’excusable.
Les faits et la procédure
En juin 2015, un tableau intitulé « Visage alangui », estimé entre 200 et 300 euros, a été vendu aux enchères pour la somme de 50 000 euros. Ce prix, bien au-dessus de l’estimation initiale, reflète une suspicion que l’œuvre pourrait être attribuée à un artiste de renom, potentiellement Théodore Géricault. Le tableau a ensuite été revendu pour 130 000 euros, confirmant son potentiel exceptionnel.
La venderesse initiale, décédée en 2016, avait confié le tableau à une société de ventes volontaires, accompagné de ses archives familiales. Ces documents faisaient état d’un lien entre la famille de la venderesse et l’artiste, mais cette information n’a pas été prise en compte par le commissaire-priseur lors de l’estimation. Les héritiers ont contesté la vente en invoquant une erreur sur les qualités substantielles de l’objet, ainsi que la responsabilité de la société de ventes pour manque de diligence.
En appel, les juges avaient estimé que l’erreur était inexcusable, arguant que la venderesse aurait dû réaliser une expertise préalable pour lever toute ambiguïté sur l’authenticité du tableau. La Cour de cassation casse cet arrêt, soulignant que la transmission d’archives à un professionnel était suffisante pour déclencher une obligation d’investigation.
Une nouvelle approche de l’erreur excusable
L’appréciation de l’erreur excusable, telle qu’elle ressort de cet arrêt, s’appuie sur une analyse approfondie des obligations respectives des parties. Conformément aux articles 1109 et 1110 du Code civil (dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016), une erreur est excusable si le vendeur, ayant transmis tous les éléments pertinents au professionnel mandaté, pouvait raisonnablement s’en remettre à son expertise.
Dans cette affaire, la Cour de cassation a reproché à la cour d’appel d’avoir exigé de la venderesse des diligences excessives, notamment un tri rigoureux des archives ou une demande d’expertise. En revanche, elle a mis l’accent sur la faute de la société de ventes, qui n’avait pas pris la mesure des indices présents dans les documents fournis. Cette approche souligne la nécessité pour les opérateurs de ventes d’adopter une diligence accrue dans l’évaluation des biens, sous peine de voir leur responsabilité engagée.
Comparaison avec le régime antérieur
Avant la réforme de 2016, le caractère excusable de l’erreur était souvent laissé à la libre appréciation des juges du fond, ce qui avait conduit à une jurisprudence oscillante. Par exemple, l’arrêt « Jean Prouvé » de 2020 (n° 19-15.415) avait déjà illustré les difficultés d’établir une erreur substantielle liée à des caractéristiques matérielles de l’objet. La nouveauté introduite par l’arrêt de décembre 2024 réside dans la manière dont elle articule la notion d’erreur excusable avec les obligations contractuelles des professionnels, renforçant ainsi les garanties offertes aux vendeurs profanes.
En outre, l’approche in concreto adoptée par la Cour de cassation dans cet arrêt permet une adaptation des critères d’évaluation aux spécificités de chaque situation. Cette souplesse contraste avec l’absolutisme parfois reproché aux anciennes jurisprudences, qui avaient tendance à imposer des standards universels.
Les apports concrets de l’arrêt
Cet arrêt est important en matière de droit des obligations, de ventes aux enchères et d’évaluation des obligations des professionnels. D’une part, il renforce la protection des vendeurs non avertis en exigeant des opérateurs de ventes un niveau élevé de diligence et de transparence. D’autre part, il clarifie les critères d’évaluation de l’excusable en posant une distinction nette entre ce qui relève de la faute du vendeur et ce qui incombe au professionnel mandaté.
Enfin, cet arrêt pourrait avoir des répercussions au-delà du cadre spécifique des ventes aux enchères, en renforçant la sécurité juridique dans l’exécution des contrats et en établissant un équilibre plus juste entre les parties contractantes.