La réception des travaux est une étape essentielle dans le domaine du droit de la construction. Elle marque l’acceptation de l’ouvrage par le maître d’ouvrage et constitue un point de départ pour les garanties légales. Si la réception expresse est clairement encadrée par la loi, la réception tacite soulève de nombreuses interrogations, notamment en l’absence de procédure formelle. L’analyse de la jurisprudence et en particulier la décision de la Cour de cassation en date du 19 septembre 2024, met en lumière les critères permettant de qualifier une réception tacite.
1. Définition et régime juridique de la réception tacite
L’article 1792-6 du Code civil précise que la réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage accepte l’ouvrage, avec ou sans réserve. Lorsque cette réception n’est pas formalisée par un procès-verbal, elle peut être tacite si certains critères sont réunis.
La réception tacite repose sur trois éléments :
- La prise de possession de l’ouvrage : l’occupation effective des lieux par le maître de l’ouvrage constitue un indice fort ;
- Le paiement des travaux : le règlement total ou quasi-total du montant des travaux permet d’attester de la volonté d’acceptation ;
- L’absence de réserves expresses et immédiates : si le maître d’ouvrage ne manifeste pas son refus, cela peut être interprété comme une acceptation tacite.
2. Jurisprudence clé : l’arrêt du 19 septembre 2024
Dans l’arrêt du 19 septembre 2024 (pourvoi n° 22-24.808), la Cour de cassation a confirmé la reconnaissance d’une réception tacite. La construction d’un logement avait été confiée à une entreprise placée par la suite, en liquidation judiciaire. En dépit de désordres et d’un retard dans l’achèvement des travaux, le maître d’ouvrage a toutefois pris possession des lieux, en ayant réglé l’essentiel des travaux.
La cour d’appel avait fixé la réception tacite à la date du 26 juillet 2017, estimant que le maître d’ouvrage :
- Avait emménagé dans l’ouvrage, bien que partiellement achevé ;
- Avait réglé la quasi-totalité des travaux ;
- N’avait pas manifesté une opposition claire à cette réception.
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi en confirmant que ces éléments étaient suffisants pour caractériser une réception tacite, en confirmation de l’arrêt d’appel.
3. Quelles conséquences juridiques pour le maître d’ouvrage et l’entrepreneur ?
La réception tacite d’un ouvrage est une réalité juridique qui peut entraîner des conséquences importantes.
Elle marque, en effet, le point de départ des garanties légales (parfait achèvement, biennale et décennale) et met fin aux contestations sur les malfaçons apparentes, sauf en cas de réserves formulées. En outre, elle entraîne le transfert des risques au maître d’ouvrage.
Il est donc primordial pour les maîtres d’ouvrage et les entrepreneurs de bien encadrer cette étape afin d’éviter tout contentieux ultérieur.
4. Réception tacite : précautions et bonnes pratiques pour éviter les litiges
Compte tenu des enjeux de la réception tacite, il est essentiel pour les parties prenantes de prendre certaines précautions :
- Pour le maître d’ouvrage :
- Ne pas prendre possession des lieux tant que les travaux ne sont pas satisfaisants ;
- Formaliser expressément ses réserves par courrier recommandé ;
- Ne pas régler intégralement les travaux avant leur achèvement conforme.
- Pour l’entrepreneur :
- Veiller à obtenir une réception formelle avec procès-verbal ;
- Inciter le maître d’ouvrage à émettre ses réserves au moment de la livraison.