Le 15 novembre 2024, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a rendu une décision (n° 23-16.670) consacrant l’exigence d’une majorité des voix exprimées pour les décisions d’augmentation de capital en société par actions simplifiée (SAS). Cet arrêt apporte une clarification déterminante à une question débattue, mais non tranchée, quant aux limites de la liberté statutaire dans les SAS.
Le contexte de l’affaire : une clause statutaire invalidée
L’assemblée générale extraordinaire de la SAS « La Vierge » avait décidé une augmentation de capital malgré une opposition majoritaire (229 313 voix pour, 269 185 contre), en vertu d’une clause statutaire permettant l’adoption des décisions collectives à la majorité du tiers des droits de vote présents ou représentés. Contestée par certains associés, la décision a été validée par la Cour d’appel de Paris, considérant cette règle comme étant conforme à l’article L. 227-9 du Code de commerce.
Alors qu’un pourvoi était formé à l’encontre de ce premier arrêt d’appel, la Chambre commerciale a censuré une première fois la Cour d’appel (n°19-12.696) considérant qu’en dépit des stipulations statutaires contraires, les résolutions d’une SAS devaient être adoptées à la majorité simple des votes exprimés.
Sur renvoi, la Cour d’appel de Paris n’a pas suivi la Chambre commerciale (Paris, 4 avril 2023). La Cour de cassation, cette fois-ci en Assemblée plénière, sa formation la plus solennelle, a censuré une nouvelle fois la position des juges du fond : « Une décision collective d’associés ne peut être tenue pour adoptée que si elle rassemble en sa faveur le plus grand nombre de voix. Toute autre règle conduirait à considérer que la collectivité des associés peut adopter, lors d’un même scrutin, deux décisions contraires. » L’Assemblée plénière va même plus loin que la chambre commerciale, et affirme que toute clause statutaire contraire à sa règle doit être réputée non écrite.
Les fondements juridiques de la primauté du vote majoritaire en SAS
La Haute juridiction s’appuie sur :
- L’article L. 227-9 du Code de commerce, qui impose un cadre collectif aux décisions touchant au capital social.
- L’article 1844 du Code civil, garantissant à chaque associé un droit de participation effectif.
- L’article 1844-10 du Code civil, sanctionnant les clauses statutaires contraires aux dispositions impératives.
Elle en déduit que la primauté du vote majoritaire s’impose en SAS, limitant la souplesse statutaire.
Un arrêt qui sécurise les décisions collectives des SAS
Cet arrêt introduit pour la première fois une restriction à la liberté contractuelle en matière de modalités de vote :
- Sécurisation du principe majoritaire : désormais incontournable pour les décisions collectives.
- Clarification du droit des sociétés : nullité des clauses statutaires permissives en contradiction avec l’exigence de majorité.
Les conséquences pratiques pour les statuts des SAS
Cette décision impacte directement la rédaction des statuts des SAS, obligeant les chefs d’entreprise à revoir leurs clauses statutaires pour assurer la conformité avec l’exigence de majorité simple. Toute disposition prévoyant un mode de décision dérogatoire, notamment une majorité minoritaire ou un seuil arbitraire, devra être modifiée sous peine de nullité. Cette évolution limite la flexibilité statutaire des SAS, mais renforce la sécurité juridique des décisions collectives. Les entrepreneurs devront ainsi se rapprocher de leurs conseils juridiques afin de mettre en conformité leurs statuts et éviter tout risque de contentieux lié aux modalités de vote en assemblée.
Plus encore, la doctrine (voir not. Laurent Godon, Décisions collectives des associés : une minorité ne peut l’emporter sur la majorité, Revue des sociétés, 2025, p.51) estime que cette décision fondée sur les articles 1844 et 1844-10 du Code civil s’appliquerait à toutes les sociétés, bien au-delà de la distinction entre sociétés civiles et commerciales. Cette solution trouverait ainsi à s’appliquer à toutes les sociétés dans lesquelles la loi confère aux statuts la possibilité de déterminer des modalités de vote.
Les praticiens du droit des affaires devront veiller à la conformité des statuts des SAS, mais aussi de toutes autres sociétés qui pourraient être concernées par cette nouvelle règle posée par la Cour de cassation. Toute décision d’augmentation de capital adoptée sans majorité simple pourra désormais être annulée.