Dans un avis rendu le 11 juillet 2024, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a clarifié le rôle du juge de l’exécution dans le contrôle des clauses abusives présentes dans les contrats de consommation, particulièrement dans le cadre d’une procédure civile d’exécution. Cet avis s’inscrit dans une continuité jurisprudentielle influencée par la directive européenne 93/13/CEE, qui impose aux juridictions des États membres de garantir la protection des consommateurs face à des clauses contractuelles abusives. L’avis rendu par la Cour de cassation visait à préciser les pouvoirs du juge de l’exécution et les conséquences de l’invocation d’une telle clause au stade de l’exécution forcée.
Faits en cause : une saisine du Tribunal judiciaire de Paris
Le 11 janvier 2024, le Tribunal judiciaire de Paris a formulé une demande d’avis auprès de la Cour de cassation, en vertu des articles L. 441-1 du Code de l’organisation judiciaire et 1031-1 du Code de procédure civile. Cette demande portait sur la possibilité, pour le juge de l’exécution, de statuer sur des clauses abusives dans un contrat de consommation ayant donné lieu à une décision de justice devenue titre exécutoire. Le juge de l’exécution s’interrogeait sur plusieurs aspects de son rôle dans cette situation spécifique.
La demande d’avis soulevait trois questions :
« Le juge de l’exécution
- Peut-il, dans le dispositif de son jugement, déclarer réputée non écrite comme abusive la clause d’un contrat de consommation ayant donné lieu à la décision de justice fondant les poursuites ?
Dans l’affirmative,
- Lorsque cette clause a pour objet la déchéance du terme, peut-il annuler cette décision ou la dire privée de fondement juridique, notamment lorsque l’exigibilité de la créance était la condition de sa délivrance ? dans ce cas, peut-il statuer au fond sur une demande en paiement ?
- Peut-il modifier cette décision de justice, en décidant qu’elle est en tout ou partie insusceptible d’exécution forcée ? dans ce cas, peut-il statuer au fond sur une demande en paiement ? »
Ces questions revêtent une importance particulière dans le contexte des procédures d’exécution forcée au cours desquelles les juges doivent concilier le respect du droit interne avec les exigences européennes en matière de protection des consommateurs. La demande d’avis reflétait ainsi la complexité d’appliquer la directive 93/13/CEE dans des situations où les décisions judiciaires sont déjà rendues, mais fondées sur des clauses abusives.
La situation antérieure : cadre juridique avant l’avis du 11 juillet 2024
Avant cet avis, le cadre juridique permettait déjà un contrôle des clauses abusives, même après qu’une décision de justice avait été rendue. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) avait clarifié dans plusieurs arrêts que l’autorité de la chose jugée ne pouvait empêcher un juge national de contrôler d’office une clause abusive, y compris au stade de l’exécution forcée, quand un tel contrôle n’avait pas été réalisé au préalable (CJUE 26 janvier 2017, Banco Primus, aff. C-421/14). Cependant, ce contrôle posait certaines difficultés en raison des limites imposées par le droit interne français, en particulier en ce qui concerne le rôle du juge de l’exécution.
En effet, selon le droit français des procédures civiles d’exécution, le juge de l’exécution n’a pas la compétence pour modifier ou annuler une décision de justice sur le fond. Sa mission est essentiellement de veiller à l’exécution des décisions judiciaires sans en réexaminer le contenu. Cela signifiait que, même si une clause contractuelle était abusive, le juge de l’exécution ne pouvait pas intervenir directement sur le fondement de la décision de justice, ce qui limitait son champ d’action.
La jurisprudence française, influencée par les exigences européennes, avait donc déjà élargi la possibilité pour les juges de contrôler les clauses abusives, mais sans pour autant clarifier complètement les contours de leurs pouvoirs dans les procédures d’exécution forcée.
Réponses apportées par l’avis du 11 juillet 2024
L’avis du 11 juillet 2024 de la Cour de cassation a apporté plusieurs réponses importantes aux questions soulevées par le Tribunal judiciaire de Paris, en distinguant deux grands axes : la possibilité de déclarer une clause abusive non écrite et les conséquences de cette décision sur le titre exécutoire.
- Le pouvoir de déclarer une clause abusive non écrite
La Cour de cassation a confirmé que le juge de l’exécution pouvait effectivement constater qu’une clause abusive était réputée non écrite dans le dispositif de sa décision. Ce constat découle des exigences posées par la directive 93/13/CEE, qui imposent aux États membres de garantir une protection effective des consommateurs en éliminant les clauses abusives des contrats.
Cependant, la Cour de cassation précise que cette constatation n’est pas automatiquement inscrite dans le dispositif de la décision du juge. Il s’agit d’une possibilité laissée à l’appréciation du juge en fonction des circonstances de l’affaire. En effet, la jurisprudence de la CJUE n’impose pas que cette constatation soit systématiquement mentionnée dans le dispositif, tant que le juge tire toutes les conséquences utiles de la déclaration de la clause abusive comme non écrite.
- Les limites du pouvoir du juge de l’exécution
L’avis clarifie également les limites des pouvoirs du juge de l’exécution en matière de modification ou d’annulation du titre exécutoire. La Cour rappelle que le juge de l’exécution ne peut ni modifier ni annuler un titre exécutoire, même si celui-ci est fondé sur une clause abusive. Cette limitation est inscrite dans le Code des procédures civiles d’exécution (Article R. 121-1), qui encadre strictement les interventions possibles du juge de l’exécution sur une décision judiciaire définitive.
Toutefois, bien que le juge ne puisse pas intervenir directement sur le titre exécutoire, il est tenu de recalculer les sommes dues en fonction de la suppression de la clause abusive. Ce recalcul permet d’ajuster la créance aux termes du contrat, sans la clause abusive. Si, après ce recalcul, le juge constate que le débiteur ne doit plus aucune somme, il doit ordonner la mainlevée de la mesure d’exécution forcée.
Cette approche vise à concilier l’obligation de contrôle des clauses abusives imposée par la directive européenne avec les limites du droit national, en respectant à la fois les droits des consommateurs et les principes fondamentaux du droit de l’exécution forcée en France.
Conclusion : vers une clarification des prérogatives du juge de l’exécution
L’avis du 11 juillet 2024 constitue une étape importante dans la clarification des prérogatives du juge de l’exécution en matière de contrôle des clauses abusives.
Cet avis marque un pas vers une meilleure harmonisation entre le droit français et les exigences européennes, tout en préservant les principes fondamentaux du droit interne en matière de procédure civile d’exécution. Le rôle du juge de l’exécution se trouve renforcé dans la protection des consommateurs, sans pour autant altérer l’équilibre du droit des créanciers.