Le 10 octobre 2024, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rendu une décision importante en matière d’indemnisation des pertes de gains professionnels futurs, en adoptant une position restrictive concernant ce chef de préjudice. Dans ce contexte, deux courants jurisprudentiels opposent une approche favorable à une indemnisation intégrale des pertes de gains futurs dès que la victime est incapable de reprendre son activité antérieure, à une approche restrictive, limitant cette indemnisation aux cas d’inaptitude définitive à toute activité professionnelle. Dans cet arrêt, la Cour de cassation suit le deuxième courant, en adoptant une approche restrictive. Elle considère que la victime ne peut prétendre à une indemnisation intégrale des pertes de gains professionnels futurs si elle conserve une capacité résiduelle à exercer une activité professionnelle lui procurant des gains, même modestes comme le SMIC. Cette décision s’inscrit dans la ligne de la jurisprudence récente de la Cour de cassation en faveur d’une limitation des indemnisations en fonction des revenus futurs raisonnablement prévisibles.
Les Faits Essentiels sur les Pertes de Gains Professionnels Futurs dans cette Décision
L’affaire trouve son origine dans un accident de la circulation ayant causé des dommages corporels à une victime, qui, en raison de ses séquelles, s’est retrouvée inapte à exercer son activité professionnelle antérieure. Elle a alors assigné le conducteur responsable et son assureur pour obtenir une indemnisation, notamment au titre des pertes de gains professionnels futurs.
La cour d’appel avait limité l’indemnisation à une somme correspondant à une perte de chance de percevoir un revenu supérieur au SMIC, estimant que la victime conservait une capacité résiduelle de travail suffisante pour atteindre ce niveau de rémunération. Contestant cette approche, la victime a formé un pourvoi en cassation, arguant que le principe de réparation intégrale justifiait une indemnisation basée sur ses revenus antérieurs, sans tenir compte d’un éventuel revenu futur hypothétique.
La Cour de cassation a confirmé l’analyse restrictive des juges du fond. Elle a jugé que l’indemnisation intégrale des pertes de gains professionnels futurs ne pouvait être accordée que si la victime était définitivement inapte à toute activité professionnelle générant des gains, ce qui n’était pas le cas ici. Elle a ainsi validé une évaluation reposant sur la capacité résiduelle de la victime à percevoir des revenus équivalents au SMIC.
Évolution Jurisprudentielle sur l’Indemnisation des Pertes de Gains Professionnels Futurs
Le principe de réparation intégrale, fondement du droit de la responsabilité civile, impose de replacer la victime dans une situation équivalente à celle qui aurait été la sienne en l’absence du dommage, sans qu’elle en tire profit. Historiquement, les juridictions considéraient qu’une victime ne pouvait se voir refuser une indemnisation pour des pertes de gains professionnels futurs dès lors qu’elle n’était plus en mesure d’exercer son activité professionnelle antérieure.
La jurisprudence antérieure offrait une certaine latitude aux victimes. Par exemple, la Cour avait admis que l’indemnisation pouvait couvrir la totalité des revenus antérieurs à l’accident lorsque la victime n’avait pas retrouvé d’emploi compatible avec ses capacités résiduelles ( Civ. 1ʳᵉ, 9 mai 2019, n° 18-14.839 ). Cependant, une ligne plus restrictive se dessinait, prévoyant une indemnisation proportionnelle à la perte réelle de gains, tenant compte des possibilités futures d’emploi ( Civ. 2ᵉ, 24 nov. 2022, n° 21-17.323 ).
L’arrêt du 10 octobre 2024 confirme cette orientation restrictive en exigeant que la victime démontre une « impossibilité définitive » d’exercer toute activité professionnelle pour obtenir une indemnisation totale. À défaut, l’évaluation se limite à la perte de chance ou à la différence entre les revenus antérieurs et le revenu potentiel futur.
Conséquences de l’Approche Restrictive sur l’Indemnisation des Pertes de Gains Professionnels Futurs
Cette décision entraîne des répercussions importantes, tant pour les victimes que pour les assureurs et les juges du fond.
Les victimes doivent désormais démontrer non seulement leur incapacité à reprendre leur activité antérieure, mais aussi leur impossibilité définitive d’exercer tout emploi rémunérateur. Cette exigence pourrait décourager certaines victimes d’engager des procédures judiciaires, faute de preuves suffisantes pour établir leur inaptitude totale.
En favorisant une approche restrictive, la Cour limite le risque de surcompensation. Cependant, cela pose la question de l’équité pour les victimes dont les capacités résiduelles, bien que réelles, ne garantissent pas un revenu stable ou équivalent à leur situation antérieure.
Cette jurisprudence renforce la sécurité juridique pour les assureurs en définissant clairement les conditions de l’indemnisation intégrale des PGPF. Elle pourrait également réduire les montants des indemnisations à verser, notamment dans les cas où les victimes conservent une capacité résiduelle à travailler.
Les juges du fond conservent une grande liberté dans l’évaluation des préjudices, en tenant compte des éléments probants fournis par les parties. Cependant, l’approche restrictive impose un examen rigoureux des capacités professionnelles résiduelles des victimes et des possibilités d’emploi réalistes.
Conclusion
L’arrêt du 10 octobre 2024 adopte une position restrictive, la Cour de cassation établit un équilibre délicat entre la protection des victimes et la prévention d’une indemnisation excessive. Si cette décision contribue à clarifier les règles applicables, elle soulève également des enjeux d’équité et de preuve qui pourraient alimenter le débat juridique dans les années à venir. Les professionnels du droit, les assureurs, et les victimes devront s’adapter à ce cadre rénové, qui redéfinit les contours du principe de réparation intégrale.