Traduire garanties et manuels : obligations en Europe (CJUE 2024)

La question de la langue dans laquelle doivent être rédigées les conditions générales de garantie et les manuels d’utilisation des produits commercialisés à l’international occupe une place croissante dans le contentieux européen de la consommation. Elle se situe à la croisée de deux principes fondamentaux : la liberté contractuelle entre professionnels, et le droit à une information claire et compréhensible du consommateur final. Cette tension n’est pas purement théorique : elle engage directement la validité et l’opposabilité des clauses de garantie commerciale, notamment celles comportant des limitations ou exclusions de responsabilité.

La liberté contractuelle dans le choix de la langue : un principe préservé entre professionnels

En droit international des affaires, le choix de la langue applicable au contrat demeure une manifestation classique de la liberté contractuelle. Aucune disposition du droit de l’Union européenne n’impose l’usage d’une langue particulière pour les contrats conclus entre professionnels. Dans les relations B2B, le principe de neutralité linguistique prévaut ainsi : les parties sont libres de choisir la langue du contrat, pourvu qu’elle soit comprise et acceptée par chacune d’elles.

Cette souplesse favorise la fluidité des échanges internationaux et la sécurité juridique des opérateurs, dès lors que le contrat de distribution, souvent bilingue ou en langue anglaise, lie le fabricant et ses distributeurs dans un cadre homogène et maîtrisé. Cependant, cette liberté trouve une limite nette dès lors que les documents contractuels ou techniques deviennent accessibles au consommateur final, lequel n’est pas partie au contrat initial.

L’information du consommateur : un impératif d’intelligibilité

Le droit européen de la consommation impose que toute information fournie au consommateur soit claire, compréhensible et accessible. Cette exigence découle de la Directive (UE) 2019/771 du 20 mai 2019 relative à la garantie légale de conformité et aux garanties commerciales. Elle a été récemment réaffirmée par la Cour de justice de l’Union européenne, dans un arrêt du 9 août 2024¹, jugeant que : « Le fait, pour les consommateurs d’un État membre où les produits sont commercialisés, d’être informés dans la ou les langues de cet État constitue un moyen de protection approprié. ».

Cette position consacre le lien indissociable entre la langue utilisée et une protection effective : l’information n’est valable que si elle est intelligible pour celui à qui elle s’adresse. Ainsi, lorsqu’un constructeur ou fournisseur diffuse ses produits dans plusieurs États, il doit s’assurer que la garantie commerciale et le manuel d’utilisation sont rédigés dans une langue que le consommateur du pays concerné peut comprendre.

À défaut, le risque est double : l’inopposabilité des clauses limitatives de garantie ou d’exclusion de responsabilité, et, plus généralement, la remise en cause du consentement éclairé de l’acheteur final.

La langue du contrat, condition d’opposabilité de la garantie

Les conditions générales de garantie encadrent la portée, la durée, les exclusions et les modalités d’exercice de la garantie commerciale. Lorsqu’elles sont rédigées dans une langue étrangère non comprise par le consommateur, le fabricant s’expose à une contestation de leur opposabilité.

En pratique, deux hypothèses se rencontrent :

Première hypothèse : le distributeur ne traduit pas les CGG et les remet telles quelles au client. Le client pourrait alors invoquer un défaut d’information claire pour écarter une clause d’exclusion (par exemple, une clause limitant la couverture aux défauts de fabrication).

Seconde hypothèse : le manuel d’utilisation est remis dans une langue étrangère. Si une clause du contrat de distribution subordonne la responsabilité du fabricant à une « utilisation conforme au manuel », l’absence de version intelligible rend cette exigence inopposable. Ainsi, la langue du document devient un élément de la validité de la clause.

Responsabilité et partage des obligations linguistiques

Face à cette problématique, la solution réside dans une répartition claire des obligations de traduction entre le fabricant et ses distributeurs.

Le distributeur, en tant qu’intermédiaire direct auprès du client final, doit assumer la charge de fournir une version traduite des documents essentiels : CGG, manuel d’utilisation, guide d’entretien, etc. Cette obligation découle de son devoir d’information à l’égard du consommateur, généralement stipulé au contrat de distribution.

Pour le fabricant, il est essentiel de préserver un contrôle sur les traductions réalisées. Ce droit de regard sur toute adaptation linguistique lui permet de garantir la fidélité du contenu à la version originale et d’écarter toute divergence susceptible d’être interprétée au bénéfice du consommateur À défaut, le fabricant s’exposerait à voir opposée une version altérée ou ambiguë du texte, chaque doute étant interprété in favorem consumatoris.

Vers une diffusion multilingue centralisée : une solution de conformité et de traçabilité

L’une des voies les plus efficaces pour concilier sécurité juridique et accessibilité linguistique consiste à opter pour une mise à disposition numérique centralisée.

Notre cabinet recommande ainsi la publication en ligne des CGG et manuels d’utilisation, dans toutes les langues des territoires de commercialisation.  L’intégration d’un QR code sur les documents papier constitue également un moyen pratique et sécurisé de donner au consommateur un accès direct à la version traduite et actualisée des documents.

Ce dispositif offre deux avantages majeurs :

La sécurité juridique : la version diffusée est unique, à jour, validée et consultable à tout moment.

La traçabilité : chaque client dispose d’un accès permanent, y compris en cas de revente du produit.

Cette approche, conforme à l’esprit du droit européen de la consommation, assure une transparence linguistique et réduit le risque contentieux.

Enjeux et perspectives

La maîtrise de la langue de communication avec le consommateur ne relève pas d’un simple formalisme : elle traduit une évolution structurelle du droit de la garantie commerciale. Le droit européen consacre le consommateur comme un acteur autonome, dont la protection repose sur sa capacité à comprendre et à agir en connaissance de cause. Dès lors, la garantie commerciale ne se limite plus à un engagement sur le produit, mais s’étend à la qualité, la clarté et la compréhensibilité de l’information transmise. L’enjeu dépasse la seule traduction : il s’agit d’un processus de gouvernance juridique intégrant la maîtrise des versions des traductions, leur certification et la conservation des preuves de communication au client.

Conclusion

La question de la langue des conditions générales de garantie et des manuels d’utilisation illustre la mutation du droit de la consommation vers une exigence accrue de transparence et de compréhension. Si la liberté contractuelle demeure le principe directeur des relations entre professionnels, elle s’efface devant le droit du consommateur à une information intelligible. L’équilibre à trouver repose donc sur une approche contractuelle combinant : la validation centralisée des traductions par le fabricant, la mise à disposition effective des documents dans la langue du territoire, et une traçabilité numérique garantissant la preuve de l’information fournie.

Ce faisant, les acteurs industriels renforcent leur sécurité juridique tout en répondant à la finalité première du droit européen : protéger le consommateur sans entraver la circulation des biens.

 

[1] CJCE, 9 août 1994, C-51/93, Meyhui NV c/ Schott Zwiesel Glaswerke AG

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Notre cabinet accompagne ses clients dans l’identification et la formalisation des obligations essentielles protectrices du fabricant ou du vendeur professionnel, lesquelles doivent, en tout état de cause, être traduites dans toutes les langues des pays de commercialisation. Cette exigence inclut la prise en compte des circuits de revente ou de distribution par des tiers, qui ne font pas disparaître le lien direct pouvant subsister entre le fabricant et l’utilisateur final, notamment au titre de la garantie des vices cachés.