Introduction
Les accidents du travail sont liés au développement économique des pays et à leurs activités industrielles. Ils existent tant dans les pays traditionnellement industrialisés (UE, États‑Unis, Japon, etc.) que dans les pays récemment développés comme la Chine.
Historiquement, la réglementation des accidents du travail est apparue en France à la fin du XIXe siècle. La loi du 9 avril 1898 a d’abord instauré une responsabilité de plein droit limitée de l’employeur. Par la suite, la réparation a été prise en charge par la Sécurité sociale au bénéfice de toute personne blessée à l’occasion de l’exécution du travail, indépendamment de l’établissement d’une faute de l’employeur. Le risque encouru par les travailleurs du fait de l’exécution de leur activité dans l’industrie a justifié l’octroi d’une indemnisation pour tout dommage en résultant. Les employeurs ont été tenus de cotiser à ce régime.
La contrepartie de cette indemnisation est l’impossibilité, pour les salariés, de réclamer à leur employeur des dommages‑intérêts complémentaires : l’employeur est alors exonéré de ces responsabilités supplémentaires.
Ce régime se rapproche du « workers’ compensation » américain (à la différence notable qu’en France, les travailleurs non indemnisés peuvent, comme toute personne malade ou handicapée, prétendre à certaines prestations de la Sécurité sociale – frais médicaux et perte de salaire). Il diffère toutefois de celui d’autres pays de l’UE (Royaume‑Uni, Espagne…) dans lesquels les salariés ne peuvent obtenir (éventuellement l’entière) réparation de leur employeur qu’en cas de responsabilité prouvée (l’assurance obligatoire couvrant alors cette responsabilité). Dans ces pays, les prestations versées par le NHS/la Sécurité sociale à toute personne malade ou handicapée peuvent néanmoins compléter l’indemnisation des salariés blessés.
Ainsi, le régime français des accidents du travail a pour objet d’assurer aux salariés une indemnisation automatique par la Sécurité sociale, tout en exonérant les employeurs d’une partie de leur responsabilité supplémentaire. En d’autres termes : comment un salarié obtient‑il, au titre de la Sécurité sociale, une indemnisation limitée pour un accident du travail sans qu’aucune faute de l’employeur ne soit établie, ce dernier n’engageant sa responsabilité qu’en cas de faute inexcusable ?
Seront d’abord examinées les conditions de l’accident du travail (I). Seront ensuite détaillées les prestations versées par la Sécurité sociale au salarié victime, indépendamment de toute faute de l’employeur (II). Puis, seront précisées les hypothèses dans lesquelles l’employeur cesse d’être exonéré pour devenir pleinement responsable en cas de faute inexcusable (III). Enfin, une conclusion sera proposée.
I. Conditions d’ouverture du droit à indemnisation au titre des accidents du travailL’article L. 411‑1 du Code de la sécurité sociale énonce : « Constitue un accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise. » Trois conditions doivent être réunies : un lien de subordination (i), un fait soudain et dommageable (ii) et un lien avec l’exécution du travail (iii).
i) Un lien de subordination
Il existe lorsque l’employeur dispose d’un pouvoir de direction et de contrôle sur le salarié.
C’est le cas, par exemple, d’un contrat de travail par lequel l’employeur fixe les modalités concrètes d’exécution (horaires, lieu, méthodes, etc.) et peut sanctionner ou licencier. À l’inverse, un contrat de prestation indépendante ou d’agence ne caractérise pas un lien de subordination.
ii) Un fait soudain et dommageable
L’accident est tout événement soudain et dommageable survenu au salarié.
Les maladies professionnelles ouvrent également droit à indemnisation lorsqu’elles correspondent à une maladie inscrite sur une liste établie par les autorités publiques de santé et que le salarié établit une exposition prolongée au risque sur son lieu de travail (art. L. 461‑1 du Code de la sécurité sociale).
iii) Un lien avec l’exécution du travail
Il est présumé que l’accident est imputable au travail lorsqu’il survient aux temps et au lieu du travail. On se réfère alors souvent aux fonctions du salarié pour déterminer si l’accident est survenu par le fait ou à l’occasion du travail.
La présomption peut également jouer lorsque l’accident survient en dehors des horaires habituels ou du lieu habituel de travail, dès lors que le salarié exécutait une tâche professionnelle ou une instruction de son supérieur.
Sont aussi couverts les accidents de trajet (aller et retour) entre la résidence et le lieu de travail, sous réserve que le salarié ait emprunté son itinéraire habituel, sans détour ni arrêt pour un motif personnel (art. L. 411‑1 du Code de la sécurité sociale).
Le chahut entre salariés (par ex., rixes) et un homicide commis sur le lieu de travail alors que le salarié se trouve sous l’autorité de l’employeur sont réputés accidents du travail et ouvrent droit à indemnisation.
Entre également dans ce champ le suicide du salarié s’il résulte du travail (harcèlement au travail, etc.).
II. Prestations servies au titre des accidents du travail
Le salarié victime d’un accident du travail qui remplit les conditions reçoit automatiquement certaines prestations de la Sécurité sociale, décrites ci‑après.
Aucune faute de l’employeur n’a à être établie ; en contrepartie, l’employeur est exonéré de toute responsabilité civile complémentaire. L’article L. 452‑1 du Code de la sécurité sociale dispose en effet : « Sous réserve des dispositions des articles L. 452‑1 à L. 452‑5, L. 455‑1, L. 455‑1‑1 et L. 455‑2, la victime ou ses ayants droit ne peuvent intenter contre l’employeur ou ses préposés aucune action en réparation des accidents ou maladies visés par le présent livre. »
1) Pertes pécuniaires
Le salarié est indemnisé de ses pertes pécuniaires et frais engagés du fait de l’accident du travail.
Cela vise principalement les frais médicaux : honoraires médicaux, hospitalisation, soins infirmiers, examens, médicaments, appareillages, kinésithérapie, ainsi que les frais de déplacement nécessaires pour obtenir ces soins (art. L. 432‑1 du Code de la sécurité sociale).
2) Indemnités journalières (incapacité temporaire)
Il s’agit du versement d’une indemnité correspondant à la perte totale ou partielle de salaire pendant l’arrêt de travail ou jusqu’à la consolidation (art. L. 433‑1 du Code de la sécurité sociale).
Le salarié perçoit 60 % de son gain journalier de base pendant les 28 premiers jours d’arrêt, puis 80 % au‑delà, dans la limite d’un plafond applicable au gain journalier servant d’assiette (327,16 € en 2017) (art. L. 433‑2 du Code de la sécurité sociale).
L’indemnité est versée deux fois par mois au salarié blessé.
3) Rente d’incapacité permanente
Elle indemnise la perte de capacité de gains future à l’issue de la reprise du travail ou de la consolidation (art. L. 434‑1 du Code de la sécurité sociale).
La rente d’incapacité permanente est calculée annuellement en deux étapes (art. L. 434‑15 du Code de la sécurité sociale) :
Première étape. Calcul d’un « taux de perte de gains » en additionnant :
-
la moitié du taux d’incapacité pour sa part inférieure à 50 % ;
-
une fois et demie le taux d’incapacité pour sa part au‑delà de 50 %.
Ex. : pour un taux d’incapacité de 70 %, le taux de perte de gains est de ½ de 50 % + 1½ de 20 % = 55 %.
Deuxième étape. Ce taux est appliqué au salaire annuel perdu du salarié, plafonné à deux fois le salaire annuel minimum fixé par l’État (18 281,80 € en 2016 × 2 = 36 563,60 €), augmenté d’un tiers de l’éventuel dépassement dans la limite de huit fois ce salaire annuel minimum.
La rente est versée trimestriellement (montant annuel / 4) jusqu’au décès du salarié, ou mensuellement (montant annuel / 12) lorsque le taux d’incapacité est au moins de 50 %.
Le taux d’incapacité permanente est fixé par la Sécurité sociale en fonction de la nature des atteintes, de l’état général, de l’âge, des capacités physiques et mentales du salarié, ainsi que de ses aptitudes et qualifications professionnelles, sur la base d’une expertise médicale (art. L. 434‑2 du Code de la sécurité sociale). Le salarié et/ou l’employeur peuvent contester cette décision devant une juridiction spécialisée (« Tribunal du contentieux de l’incapacité », art. L. 143‑1 du Code de la sécurité sociale), puis, le cas échéant, devant la cour d’appel et la Cour de cassation.
Des prestations complémentaires sont versées au titre de l’assistance par tierce personne lorsque l’incapacité atteint au moins 80 % (art. L. 434‑2 du Code de la sécurité sociale).
Lorsque le taux est inférieur à 10 %, le salarié perçoit une indemnité en capital (art. L. 434‑1 du Code de la sécurité sociale).
En cas de décès, des droits sont également ouverts aux proches (conjoint, enfants, parents) de la victime (art. L. 434‑7 du Code de la sécurité sociale).
III. Exception : faute inexcusable ou faute intentionnelle de l’employeur ouvrant droit à une réparation complémentaire
Lorsque l’accident résulte d’une faute inexcusable ou d’une faute intentionnelle de l’employeur (i), celui‑ci engage alors une responsabilité complémentaire à l’égard de la victime (ii).
i) Faute inexcusable ou faute intentionnelle de l’employeur
L’article L. 452‑1 du Code de la sécurité sociale dispose : « Lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur ou de son représentant, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions fixées au présent code. »
La faute inexcusable est caractérisée lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver (v. par ex., Cass. soc., 28 févr. 2002).
Exemples de fautes inexcusables de l’employeur :
-
Violation de règles de sécurité ou d’injonctions des autorités de santé entraînant un dommage pour le salarié (v. par ex., Cass. 2e civ., 18 nov. 2010) ;
-
Confiance de tâches à un salarié non qualifié ou étrangères à sa fiche de poste, l’exposant ainsi à un risque à l’origine de son dommage (v. par ex., Cass. 2e civ., 16 mars 2004).
La faute intentionnelle de l’employeur recouvre, par exemple, des violences volontaires. Dans ce cas, la Sécurité sociale peut exercer un recours contre l’employeur pour le remboursement des prestations versées (art. L. 452‑5 du Code de la sécurité sociale).
ii) Évaluation de la réparation complémentaire due au salarié
Le salarié peut obtenir de l’employeur une majoration de la rente d’incapacité permanente, correspondant à la différence entre le taux de perte de gains retenu par la Sécurité sociale et le taux d’incapacité (art. L. 452‑2 du Code de la sécurité sociale).
Il peut également obtenir des dommages‑intérêts au titre des souffrances endurées (douleur physique passée et future) (art. L. 452‑3 du Code de la sécurité sociale). L’expertise médicale évalue les souffrances sur une échelle de 0 à 7. Le salarié chiffre ensuite son préjudice par référence aux montants habituellement alloués par les juridictions, multipliés par le taux retenu par l’expert. Cette méthode laisse une certaine marge d’appréciation et se distingue d’une approche strictement barémisée fondée uniquement sur des atteintes permanentes (comme certains barèmes médicaux ou, par exemple, en Espagne).
Le salarié peut encore prétendre à la réparation de son préjudice esthétique (art. L. 452‑3), de son préjudice d’agrément (perte de la possibilité de pratiquer des activités de loisir) (art. L. 452‑3) et de son préjudice professionnel (perte ou diminution de perspectives de carrière) (art. L. 452‑3).
En outre, lorsque le taux d’incapacité atteint 100 %, le salarié perçoit une indemnité forfaitaire mensuelle égale au salaire minimum mensuel (art. L. 452‑3 du Code de la sécurité sociale).
Conclusion
Le régime d’indemnisation des accidents du travail par la Sécurité sociale poursuit deux objectifs en apparence opposés :
-
Assurer une indemnisation automatique aux salariés blessés, sans avoir à établir une faute de l’employeur.
-
Mutualiser entre employeurs le risque d’accidents du travail via les prestations de la Sécurité sociale, tout en limitant leur responsabilité civile complémentaire vis‑à‑vis des salariés.
Ce n’est que lorsque les employeurs exposent leurs salariés à des risques et commettent une faute inexcusable que la réprobation sociale demeure à leur charge et que les salariés peuvent obtenir une réparation complémentaire intégrale. Les employeurs peuvent souscrire une assurance privée pour couvrir ce risque supplémentaire.
Dans un tel cas, la Sécurité sociale peut majorer les cotisations dues par l’employeur au titre du régime des accidents du travail.
Ainsi, la France emprunte une voie médiane entre les États‑Unis, qui limitent la réparation, et le Royaume‑Uni et l’Espagne, qui tendent à la réparation intégrale (avec, dans ces pays, un socle minimal assuré par les prestations versées par le NHS/la Sécurité sociale à toute personne malade ou handicapée).