Un revirement jurisprudentiel dans l’affaire Hémisphère : La Cour de cassation clarifie les compétences du juge du recours en matière d’arbitrage

L’affaire Hémisphère, qui a défrayé la chronique judiciaire depuis plus de deux décennies, connait enfin son épilogue avec un arrêt de la Cour de cassation du 28 février 2024 (cass. civ. 1e, 28 fév. 2024, n°22-16.151). Ce verdict marque un tournant majeur dans la jurisprudence et met fin à des années de débats et d’incertitudes quant aux pouvoirs du juge du recours dans le cadre des affaires d’exequatur de sentences arbitrales.

Chronologie et Faits Clés de l’Affaire Hémisphère

L’affaire oppose la République Démocratique du Congo à la société de gestion de placement américaine Hémisphère, concernant des litiges liés à des projets d’infrastructures énergétiques. En effet, la République démocratique du Congo a signé un accord de crédit le 2 avril 1980 avec la société Energoinvest pour la construction d’une ligne électrique à haute tension. Par suite d’impayés, Energoinvest a initié une procédure d’arbitrage en se fondant sur la clause compromissoire du contrat.

Après qu’une sentence arbitrale ait été prononcée à Zurich le 30 avril 2003, condamnant la République démocratique du Congo à verser différentes sommes, Energoinvest a transféré ses créances à la société FG Hemisphere Associates LLC, qui a notifié ce transfert à la République démocratique du Congo le 16 novembre 2004.

À la demande de FG Hemisphere Associates LLC, une ordonnance d’exequatur a été émise le 5 novembre 2009, reconnaissant la validité de la sentence arbitrale. La République démocratique du Congo a interjeté appel de cette décision le 21 novembre 2011.

En cours de procédure, le 16 juillet 2012, la République démocratique du Congo a notifié son droit au retrait litigieux en invoquant l’article 1699 du Code civil, ce à quoi FG Hemisphere Associates LLC s’est opposée.

L’Indétermination Initiale des Compétences du Juge du Recours

Dans un premier arrêt d’appel datant du 12 avril 2016, la Cour d’appel de Paris avait rejeté l’argumentation de la République démocratique du Congo, soutenant que sa compétence se limitait à examiner les vices spécifiquement prévus par l’article 1520 du Code de procédure civile.

Néanmoins, et contre toute attente, la Cour de cassation avait par la suite annulé cette décision dans un arrêt du 28 février 2018 (Cass. civ. 1e, 28 fev. 2018, n°16-22.112), se fondant sur l’article 1699 du code civil et se contentant d’affirmer que « l’exercice du retrait litigieux affecte l’exécution de la sentence ».

Cette décision avait fait grand bruit, puisqu’en statuant de la sorte, la Cour de cassation remettait en question le caractère restrictif des conditions d’ouverture du recours, ce qui posait de réelles difficultés sur le plan légal.

La Cour d’appel de Paris avait fermement rappelé à la Cour de cassation les limites des compétences du juge du recours (CA Paris, 7 déc. 2021, n°18/10217 et n°18/10220). Elle jugeait ainsi que l’exercice du droit de retrait litigieux devant le juge du contrôle de l’exequatur ne modifie ni n’étend les pouvoirs de ce dernier au-delà des cas prévus par la loi.

De plus, elle soulignait que, dans le cadre de ce contrôle, conformément à l’article 1525 du code civil, la cour d’appel ne peut refuser la reconnaissance ou l’exequatur de la sentence arbitrale que dans les cas expressément prévus à l’article 1520, dont elle rappelait les dispositions dans son intégralité.

Le Revirement Jurisprudentiel de la Cour de Cassation

Après avoir rappelé sa décision de 2018, la Cour de cassation justifie son approche en indiquant avoir poursuivi « un objectif de concentration des demandes tendant à faire obstacle à l’exécution de la sentence devant le juge du contrôle de l’exequatur d’une sentence arbitrale rendue à l’étranger ».

Puis, en statuant au visa des articles 1516 alinéa 1ᵉʳ, 1520, 1525 et 1527 alinéa 2 du Code de procédure civile, opère un revirement de jurisprudence en faisant sienne l’argumentation de la Cour d’appel de Paris. Elle retient que puisque la procédure d’exéquatur précède l’exécution forcée, elle ne doit pas être considérée comme une mesure d’exécution en soi.

Conformément aux articles L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire et R. 121-1 du Code des procédures civiles d’exécution, seuls les juges de l’exécution sont compétents pour traiter les difficultés liées aux titres exécutoires et aux contestations survenues lors de l’exécution forcée, même si ces questions portent sur le fond du droit, ce qui signifie que tout autre juge doit déclarer son incompétence d’office.

La Cour de cassation revire sa jurisprudence et indique que « dès lors, il y a lieu de juger désormais qu’est irrecevable une demande d’exercice d’un droit au retrait litigieux formée devant le juge du contrôle de l’exequatur d’une sentence arbitrale rendue à l’étranger comme n’entrant pas dans les cas prévus à l’article 1520 du Code de procédure civile ».

Impacts de la Décision sur le Paysage Juridique Français

Cette décision est bénéfique et il convient de saluer la Cour de cassation pour avoir mis un terme à une jurisprudence inappropriée. Le rôle du juge est délimité par l’objet du recours : il évalue la validité de la sentence et sa conformité à l’ordre juridique français, sans préjudice des contestations concernant la créance. Bien que l’objectif de centralisation du contentieux soit louable, il ne doit pas engendrer un contentieux secondaire incontrôlable.

En concluant sans renvoi et en substituant l’irrecevabilité au rejet, la Cour a mis un point final à l’affaire Hémisphère, mettant ainsi un terme aux débats sur les compétences judiciaires dans ce domaine.

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