Limite de l’effet interruptif de prescription

Contexte et faits de l’affaire

Le 2 mai 2024, la Troisième chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt (n° 22-23.004) qui précise les contours de l’effet interruptif de prescription attaché à une assignation en justice. Cet arrêt, qui rejette le pourvoi de la société Imefa 33, rappelle que cet effet interruptif ne vaut que pour les désordres expressément désignés dans l’assignation. Cette décision, bien qu’elle s’inscrive dans la continuité de la jurisprudence antérieure, apporte une clarification importante sur les demandes d’extension des mesures d’expertise judiciaire et leurs conséquences en matière de prescription et de forclusion.

Les faits en cause dans l’arrêt

Les faits de l’affaire remontent à la construction d’un groupe d’immeubles par la société Pinchinats, sous la maîtrise d’œuvre de MM. [S] et [O], assurés par la Mutuelle des architectes français (MAF). Les travaux de construction ont été réalisés par la société SUPAE, désormais Eiffage construction grands projets. La réception des travaux a eu lieu le 12 juillet 1995.

Par la suite, la société Imefa 33, qui avait acquis des lots auprès de la société Pinchinats, a constaté des désordres, notamment des décollements généralisés des peintures, et a assigné en référé pour obtenir une expertise judiciaire.

L’expertise, ordonnée en 1997, a été étendue en 2000 pour examiner des dommages affectant d’autres éléments de construction. Cependant, les procédures engagées par la société Imefa 33 en 2005 et 2009 ont fait l’objet de contentieux complexes, et les assignations initiales ont été annulées. En 2022, la cour d’appel de Versailles a déclaré les demandes de la société Imefa 33 irrecevables pour prescription. Contestant cette décision, la société a formé un pourvoi en cassation, arguant que la demande d’extension de l’expertise judiciaire devait interrompre la prescription pour tous les désordres concernés.

Le régime antérieur et la nouveauté apportée par l’arrêt

Avant cet arrêt, la jurisprudence de la Cour de cassation avait déjà posé des principes clairs concernant l’effet interruptif de prescription des assignations en justice. En particulier, la Cour avait affirmé que l’assignation ne peut interrompre la prescription que pour les droits expressément mentionnés dans l’acte introductif d’instance (Civ. 3ème, 19 septembre 2019, n°18-15833 ; Civ. 3ème, 29 mars 2018, n°17-15042). De même, la suspension de la prescription résultant de la mise en œuvre d’une mesure d’instruction n’était pas applicable au délai de forclusion de la garantie décennale.

La décision du 2 mai 2024 confirme et précise cette jurisprudence en réitérant que l’effet interruptif de l’assignation ne vaut que pour les désordres explicitement désignés dans celle-ci. La Cour de cassation a ainsi rejeté l’argument de la société Imefa 33, qui prétendait que la demande d’extension d’une mesure d’expertise judiciaire devait également interrompre la prescription pour les désordres initialement visés par l’expertise. Cette position renforce l’exigence d’une identification précise des désordres dans les actes introductifs d’instance pour assurer la sécurité juridique des parties en litige.

Les conséquences pratiques de cette solution

La décision de la Cour de cassation a plusieurs implications pratiques significatives pour les professionnels du droit et les parties impliquées dans des litiges de construction. D’abord, elle met en lumière l’importance cruciale de la précision dans la rédaction des assignations en justice. Les avocats et leurs clients doivent veiller à désigner de manière explicite tous les désordres pour lesquels ils souhaitent interrompre la prescription. Une assignation vague ou imprécise risque de ne pas produire l’effet interruptif escompté, exposant ainsi les parties à la forclusion de leurs actions.

Ensuite, cette jurisprudence incite les parties à adopter une vigilance accrue dans la gestion des délais procéduraux. Une fois une assignation en référé expertise introduite, il est essentiel de surveiller l’écoulement des délais de prescription et de forclusion et de considérer une assignation au fond en temps opportun. De plus, les parties doivent être conscientes que les demandes d’extension d’expertise judiciaire ne suspendent ni n’interrompent la prescription pour les désordres initiaux, nécessitant ainsi une planification stratégique des actions en justice.

Enfin, cette décision rappelle aux professionnels de la construction et de l’assurance les limites de la portée des mesures d’expertise judiciaire. Les maîtres d’ouvrage, constructeurs et assureurs doivent se coordonner efficacement pour éviter des situations où des désordres non explicitement mentionnés dans les assignations initiales échappent à l’effet interruptif de prescription, ce qui pourrait entraîner des pertes financières importantes et des litiges prolongés.

Conclusion

L’arrêt du 2 mai 2024 de la troisième chambre civile de la Cour de cassation réaffirme et précise les règles relatives à l’effet interruptif de prescription des assignations en justice dans le cadre des litiges de construction. En insistant sur la nécessité de désigner explicitement les désordres dans les assignations, la Cour renforce la sécurité juridique et incite à une gestion rigoureuse des délais procéduraux.

Cette décision, bien que conforme à la jurisprudence antérieure, apporte une clarification précieuse pour les praticiens et les parties prenantes du secteur de la construction.

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