Le délai de prescription quinquennal privilégié dans les actions récursoires entre constructeurs

La Cour de cassation, par son arrêt du 23 novembre 2023, confirme sa jurisprudence énonçant que l’action récursoire d’un constructeur, qu’il soit maître d’œuvre ou sous-traitant, est soumise à un délai de prescription de cinq ans. Ce délai commence à courir à partir du jour où le constructeur a eu connaissance, ou aurait dû avoir connaissance, des faits qui lui sont reprochés, en vue d’exercer cette action.

Analyse du Contexte Juridique et des Faits Pertinents

Dans l’affaire examinée, un architecte, assuré par la Mutuelle des architectes français, avait été chargé de la maîtrise d’œuvre de travaux d’urbanisme dans une zone d’aménagement concerté par l’Office public d’aménagement et de construction. Des études de voirie et réseaux divers ont été sous-traitées à la société Artelia, assurée par la société MMA IARD.

À la suite d’une ordonnance du 15 avril 2005 ordonnant une expertise en raison d’un affaissement de la voirie, le maître d’ouvrage a engagé des actions en justice le 22 décembre 2010 pour obtenir réparation de son préjudice. Par la suite, la société AXA, assureur de la commune, a assigné la Mutuelle des architectes français en paiement de sommes diverses le 29 janvier 2019. En réaction, la Mutuelle des architectes français a appelé en garantie la sous-traitante Artelia et sa mutuelle MMA le 8 février 2021.

Les juges d’appel ont jugé que ce recours était éteint en raison du délai de prescription de l’appel en garantie, débutant, selon eux, à partir de l’ordonnance rendue commune aux opérations d’expertise en 2005. (CA. Chambéry, 28 juin 2022, n° 21/02332)

La Mutuelle des architectes français conteste cette décision, arguant que le point de départ de la prescription ne peut être déterminé en référence à l’article 2224 du Code civil, pour une prescription ayant débuté avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008.

La Cour de cassation, par sa décision de rejet, confirme la position des juges du fond. Elle réaffirme que le constructeur doit former ses actions récursoires dans un délai de cinq ans à compter de la demande en réparation de la victime. Elle souligne que la demande d’expertise seule ne peut faire courir la prescription de l’action du constructeur ou de l’assureur.

Comprendre la Prescription des Recours entre Constructeurs

La Cour de cassation maintient le principe selon lequel le constructeur, sollicité par la victime pour réparer un préjudice, doit exercer ses actions récursoires contre les autres constructeurs et sous-traitants dans un délai de cinq ans à compter de la demande en réparation de la victime.

Cette position s’inscrit dans la lignée de sa jurisprudence antérieure (voir notamment les arrêts Cass. 3e Civ, 29 janvier 1992, n° 90-15.099  et Cass. 3e Civ., 15 février 2018, n° 16-28.143).

Le délai de prescription de dix ans énoncés à l’article 1792-4-3 du Code civil est une nouvelle fois clairement mis de côté par le juge du droit, qui préfère privilégier l’application exclusive de l’article 2224 du même code. Ce choix réaffirme la nécessité de faire une distinction entre le recours en garantie entre constructeurs et les actions en responsabilité engagées par le maître d’ouvrage contre les constructeurs (y compris l’architecte) ou leurs sous-traitants.

En résumé, l’action récursoire se voit exclue du domaine du droit spécial de la construction, car il est cohérent que les recours entre constructeurs soient soumis à un délai d’action de droit commun. La Cour de cassation avait déjà constaté que l’article 1792-4-3 du Code civil était destiné à s’appliquer exclusivement aux actions en responsabilité intentées par le maître de l’ouvrage à l’encontre des constructeurs ou de leurs sous-traitants. (Cass. Civ. 3e, 16 janvier 2020, n° 18-25.915).

Par ailleurs, fixer la date de réception comme point de départ du délai de prescription pour l’action d’un constructeur contre un autre constructeur pourrait potentiellement priver le premier, lorsqu’il est assigné par le maître d’ouvrage en fin de délai, du droit d’accès au juge.

Implications de l’Arrêt du 23 Novembre 2023 sur la Prescription

La Cour souligne ainsi que ce recours provoqué ne constitue pas une exception au délai de prescription de cinq ans. L’ajout de la Cour sur le recours provoqué par l’action récursoire d’un coresponsable mis en cause par la victime renforce la cohérence de son interprétation.

Une évolution notable réside dans la prise en compte du moment à partir duquel le délai de prescription commence à courir. Auparavant, la jurisprudence considérait souvent que le délai débutait au moment de l’assignation en référé-expertise délivrée par le maître d’ouvrage. Cette approche a été critiquée, car elle incitait les constructeurs à engager des actions en garantie de manière préventive, créant ainsi des difficultés au niveau de l’administration de la justice.

L’arrêt du 23 novembre 2023 marque un changement d’orientation en fixant le point de départ du délai de prescription à l’action en paiement de la victime, en l’occurrence, l’assignation par le maître d’ouvrage en 2010. Cette modification vise à éviter les recours préventifs et à assurer une meilleure cohérence avec le droit commun.

La Cour insiste également sur le caractère non fixe du point de départ de la prescription, soulignant que le délai ne court pas tant que le créancier n’a pas connaissance de son droit. Cette approche contribue à une interprétation plus flexible et équitable de la prescription.

Enfin, la Cour confirme la légitimité de la déclaration d’irrecevabilité de l’action de l’assureur du maître d’œuvre pour extinction du délai de recours par les juges du second degré. Cette décision renforce la rigueur dans l’application du délai de prescription et souligne l’absence de dérogation possible à ce principe.

En somme, l’arrêt du 23 novembre 2023, tout en maintenant la continuité avec la jurisprudence antérieure, apporte des ajustements importants pour assurer une interprétation plus cohérente, équitable et adaptée à la réalité des litiges en matière d’action récursoire entre constructeurs.

Synthèse et Perspectives sur la Prescription Quinquennale

Cet arrêt de la Cour de cassation met en lumière la rigueur dans l’application des délais de prescription des recours entre constructeurs. Il réaffirme la nécessité pour un constructeur de former ses actions récursoires dans un délai de cinq ans à compter de la demande en justice de la victime. L’interprétation de l’article 2224 du Code civil, établie par la Cour, clarifie le point de départ du délai, favorisant une meilleure administration de la justice et évitant les recours préventifs excessifs.

En conclusion, cette décision renforce la stabilité juridique en matière de construction et incite les acteurs du secteur à respecter les délais de prescription pour garantir l’équité et l’efficacité du système judiciaire. Les constructeurs et assureurs doivent rester attentifs aux implications de cette jurisprudence pour éviter des contentieux prescrits et promouvoir une meilleure gestion des litiges dans le domaine de la construction.

Arrêt commenté : Cass. Civ. 3e, FS-B, n° 22-20.490