L’inauguration de la chambre 5-12 de la Cour d’appel de Paris
Le 5 mars 2024, la Cour d’appel de Paris a marqué un tournant significatif dans le paysage juridique français en inaugurant sa nouvelle chambre 5-12 dédiée aux « contentieux émergents » liés au devoir de vigilance et à la responsabilité écologique. Cette initiative répond à des années d’attentes concernant les procès au fond sur des questions cruciales pour l’environnement.
Les affaires TotalEnergies, EDF, et Vigie Groupe : Récapitulatif des faits
Trois affaires majeures impliquant TotalEnergies, EDF, et Vigie Groupe (anciennement Suez) étaient au cœur des débats, illustrant les défis complexes des litiges environnementaux. Reprenons brièvement les faits des trois affaires en cause. TotalEnergies a été la première société à être confrontée à un procès climatique en France, basé sur le devoir de vigilance et l’article 1252 du code civil, visant à contraindre l’entreprise à aligner ses pratiques sur les objectifs de l’Accord de Paris. EDF a fait face à des accusations de violation des droits des peuples autochtones au Mexique, liées à un projet de parc éolien. Quant à Vigie Groupe, elle a été mise en cause pour la contamination du réseau d’eau potable au Chili par des hydrocarbures. En première instance, ces affaires avaient toutes été rejetées principalement pour des motifs de recevabilité, notamment liés à des questions techniques telles que la forme de la mise en demeure exigée par la loi. Seule l’action contre TotalEnergies avait été jugée recevable initialement, mais a nécessité un appel pour un procès au fond.
Les décisions majeures de la Cour d’appel de Paris du 18 juin 2024
Quelles sont les avancées juridiques apportées par ces trois décisions ?
Les récents arrêts de la Cour d’appel de Paris du 18 juin 2024 représentent un pas en avant significatif dans la clarification des procédures et des exigences légales dans le domaine du devoir de vigilance.
Clarification des exigences de la mise en demeure
D’abord, grâce à l’interprétation précise des exigences de la mise en demeure. La Cour a clarifié que la mise en demeure préalable est essentielle et doit être spécifique quant aux manquements reprochés et aux actions requises. Cette mise en demeure doit aussi donner à la société un délai de trois mois pour se conformer. Elle a rejeté l’interprétation antérieure selon laquelle la mise en demeure pourrait servir simplement de support de dialogue, affirmant ainsi son rôle précontentieux strictement défini par la loi.
Flexibilité dans le contenu de la mise en demeure
Puis, la Cour permet une certaine flexibilité dans le contenu de la mise en demeure. La Cour a ainsi admis une certaine souplesse quant au contenu de la mise en demeure, tant que les manquements et les actions requises sont clairement identifiés. En outre, elle a autorisé le cumul des fondements de l’action, notamment le devoir de vigilance et l’article 1252 du Code civil. Cette approche vise à faciliter les procédures tout en maintenant la rigueur juridique nécessaire.
Évolution des demandes entre mise en demeure et assignation
De plus, la Cour a apporté des précisions sur l’évolution des demandes entre mise en demeure et assignation. Une avancée notable a été faite concernant l’alignement des demandes formulées dans la mise en demeure et dans l’assignation. La Cour a jugé qu’il était raisonnable que les demandes puissent évoluer et se préciser dans l’assignation, ce qui est crucial compte tenu de la complexité des plans de vigilance et de leur évolution. En revanche, dans l’affaire Vigie Groupe, la Cour a rejeté l’action pour défaut de qualité à défendre de la société mise en cause. La Cour a en effet rappelé que la société tête de groupe est la « débitrice naturelle et inconditionnelle » de l’obligation de publier et de mettre en œuvre un plan de vigilance. Cette clarification est essentielle pour éviter les confusions sur l’entité à assigner en justice. Cela soulève la question cruciale de l’identification précise du débiteur du devoir de vigilance, en l’occurrence la société mère plutôt que sa filiale opérationnelle.
Conséquences directes des nouvelles décisions
Quelles sont alors les conséquences directes de ces nouvelles décisions ? Ces décisions marquent un tournant majeur dans la jurisprudence française en matière de responsabilité écologique et de devoir de vigilance. Elles renforcent la sécurité juridique en clarifiant les procédures tout en préservant la voie d’accès au contentieux pour les parties lésées. Cependant, les critères stricts appliqués pour la recevabilité des actions soulignent l’importance cruciale pour les demandeurs de documenter et de prouver clairement leur intérêt à agir, en particulier pour les collectivités territoriales.
Implications à long terme pour la responsabilité écologique et le devoir de vigilance
En conclusion, bien que les avancées soient significatives, les défis persistants tels que l’identification précise du débiteur du devoir de vigilance et l’accès à l’information demeurent des points de préoccupation. L’impact à long terme de ces décisions dépendra de la capacité des tribunaux à maintenir un équilibre entre exigences légales strictes et accès effectif à la justice pour les victimes de dommages environnementaux. Cependant, l’admission de l’action contre TotalEnergies pour un procès climatique en France est particulièrement importante. Cela pourrait encourager des actions similaires contre d’autres entreprises, augmentant la pression sur elles pour adopter des pratiques plus respectueuses de l’environnement et des droits humains. Ces décisions de la Cour d’appel de Paris montrent que le chemin vers une justice environnementale effective en France est semé d’obstacles, mais aussi d’opportunités pour une protection renforcée de l’environnement et des droits humains.
Sources :
Paris, pôle 5 – ch. 12, 18 juin 2024, n° 23/14348