Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité Bolloré

Par une décision rendue le 29 novembre 2023 dans l’affaire connue sous le nom de « Bolloré », la Cour de cassation s’est prononcée sur les implications du refus d’homologation d’un accord conclu entre le Parquet national financier et trois dirigeants en tant que personnes physiques, dans le cadre d’une Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité (ci-après la « CRPC »).

Le Cas Bolloré : Analyse et Chronologie de l’Affaire

Cette affaire, débutée en 2013 par une enquête sur les conditions entourant l’extension de la concession du port de Lomé par la société Bolloré Africa Logistics entre 2009 et 2011, impliquait des soupçons de financement de la réélection du président togolais Faure Gnassingbé. Les dirigeants, dont Vincent Bolloré, ont été mis en examen en 2018 pour corruption d’agent public étranger.

Alors que les personnes morales impliquées ont négocié une Convention Judiciaire d’Intérêt Public (ci-après la « CJIP »), avec une amende totale de 12 millions d’euros et un programme de mise en conformité, les dirigeants ont opté pour une CRPC avec le parquet national financier.

Cependant, lors de l’audience d’homologation, le président du tribunal judiciaire de Paris a homologué la CJIP au bénéfice des personnes morales, mais a refusé d’homologuer les CRPC, arguant de la gravité des faits nécessitant un jugement public. Ce désaccord temporel entre la CIJP et la CRPC a laissé les dirigeants reconnaitre leur culpabilité sans certitude quant à l’issue de la procédure en cours.

À la suite d’un recours lié aux conséquences du refus d’homologation, la chambre criminelle a décidé que, en cas d’échec d’une CRPC, les demandes ou accords du mis en examen en vue d’un renvoi en CRPC, ainsi que les pièces s’y rapportant, devraient être retirés du dossier d’instruction.

La CRPC : Procédure de Choix pour une Résolution Rapide des Affaires Pénales

Instituée en 2004 par la loi Perben II, et codifiée à l’article 495-7 du Code de procédure pénale, la CRPC est une procédure judiciaire permettant le jugement expéditif de l’auteur d’une infraction, à condition qu’il reconnaisse les faits reprochés.

Appliquée à certains délits, et à la demande ou avec l’accord du procureur de la République, cette procédure se déroule en deux étapes essentielles : la proposition de peine par le procureur et l’audience d’homologation.

La peine proposée par le procureur peut être acceptée ou refusée par l’auteur de l’infraction. Le procureur peut proposer une peine de prison et/ou une peine d’amende. La durée de l’emprisonnement ne peut néanmoins pas être supérieure à trois ans, ni dépasser la moitié de la peine encourue.

Si la peine est acceptée, un procès-verbal contenant la reconnaissance des faits, la proposition et l’acceptation de la peine est rédigée, et l’affaire est transmise immédiatement au juge pour homologation. En revanche, si l’auteur la refuse, il reçoit une nouvelle convocation pour être jugé lors d’un procès devant le tribunal correctionnel.

Initialement conçue pour les enquêtes par le parquet, cette procédure a été étendue aux informations judiciaires en 2011 par la loi n°2011-1862.

Dans les affaires liées à la probité, la CRPC est devenue la voie privilégiée pour les dirigeants confrontés à des poursuites, en particulier lorsque l’entreprise négocie une CJIP avec le parquet.

Si la CRPC présente des avantages, notamment la célérité du jugement et des économies de ressources, elle n’est pas sans inconvénients.

Les Enjeux de la CRPC : Entre Présomption d’Innocence et Protection des Droits de la Défense

Le principal risque inhérent à la mise en œuvre d’une CRPC au cours d’une information judiciaire réside dans le fait que, en cas d’échec du processus, le dossier conserve la trace de la reconnaissance des faits par le mis en examen, ainsi que son acceptation de la qualification pénale.

Bien que l’article 495-14 du Code de procédure pénale dispose que lorsque la personne n’a pas accepté la ou les peines proposées, ou lorsque le président du tribunal judiciaire n’a pas homologué la proposition du procureur de la République, le procès-verbal ne peut être transmis à la juridiction d’instruction ou de jugement, et que ni le ministère public ni les parties ne peuvent faire état devant cette juridiction des déclarations faites ou des documents remis au cours de la procédure de CRPC, la décision de renvoi au procureur reste dans le dossier. Or, l’existence même de cette ordonnance dévoile ainsi la reconnaissance des faits et l’acceptation de leur qualification.

Cette situation pose un problème puisqu’en cas d’échec de la CRPC, le dirigeant se retrouve devant une juridiction de jugement qui ne peut ignorer sa reconnaissance de culpabilité formulée au stade de l’instruction. Cette circonstance affaiblit manifestement sa défense et le maintien de l’ordonnance de renvoi dans le dossier d’instruction suscite des préoccupations quant à la présomption d’innocence et aux droits de la défense. Les défendeurs soulevaient à l’appui de leurs moyens le droit à la présomption d’innocence et le droit à ne pas contribuer à sa propre incrimination, qui en découle.

La Cour rappelle néanmoins que la rédaction actuelle du texte n’interdit pas la transmission de la demande ou de l’accord de la personne mise en examen pour le renvoi de l’affaire au procureur de la République en vue de la CRPC, comme prévu par l’article 180-1 du Code de procédure pénale. Elle ne prohibe pas plus la transmission de l’ordonnance de renvoi en CPCR, qui est seulement frappée de caducité en cas d’échec de la procédure.

La Cour justifie cette position en affirmant que le maintien de l’ordonnance de renvoi n’atteint pas la présomption d’innocence, arguant que l’échec de la CRPC peut résulter du fait que le mis en examen n’a pas reconnu les faits en présence de son avocat. Cette justification est critiquable, car elle néglige le fait que la mise en place de la CRPC implique la reconnaissance préalable des faits par le mis en examen. Le raisonnement de la Cour de cassation apparait donc quelque peu insuffisant.

De plus, si le dirigeant poursuivi était assisté d’un avocat au cours de l’information judiciaire, sa reconnaissance des faits semblerait avoir été faite en toute connaissance de cause, ou dans des cas tels que l’affaire Bolloré, où l’ordonnance d’homologation de la CJIP fait référence à la reconnaissance des faits dans le cadre d’une CRPC échouée, la défense ultérieure des dirigeants devant le tribunal correctionnel semble compromise.

En définitive, la solution issue de l’arrêt du 29 novembre 2023 montre ses limites et nécessite une réévaluation de la jurisprudence, afin d’éviter un creusement de l’inégalité entre la responsabilité pénale des personnes morales et celle des personnes physiques.

En attendant, l’affaire Bolloré pourrait dissuader les mis en examen de recourir à la CRPC.

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