Contraintes temporelles relatives à l’exclusion des marchés publics

Dans le domaine des marchés publics, l’exclusion des personnes ayant tenté d’influencer un acheteur public revêt une importance cruciale. Celle-ci est assortie d’une période d’interdiction de trois ans, démarrant soit à la commission des faits, soit à la date d’une condamnation, si celle-ci n’est pas encore définitive.

Contexte et Procédure

La société Rénovation peinture s’est vue exclue de la procédure de passation d’un marché public par le département des Bouches-du-Rhône, suite à une décision de la présidente du conseil départemental, fondée sur les dispositions de l’article L. 2141-8 du code de la commande publique.

Cependant, cette exclusion a été annulée par le juge des référés du tribunal administratif de Marseille par une ordonnance du 7 septembre 2023, incitant le département à reconsidérer l’offre de la société Rénovation peinture.

Cadre légal des exclusions : Intégrité et transparence dans les marchés publics

Les exclusions des opérateurs économiques dans les marchés publics sont encadrées à la fois par la directive 2014/24/UE et par le Code de la commande publique. Ces dispositions visent à assurer l’intégrité et la transparence des procédures de passation des marchés, fondamentales pour préserver l’équité et la compétitivité des appels d’offres.

Selon l’article 57 de ladite directive, les acheteurs ont le pouvoir d’exclure les opérateurs économiques ayant tenté d’influencer indûment le processus décisionnel. Cette mesure vise à empêcher toute manipulation ou interférence dans le processus de sélection des soumissionnaires. Transposant cette directive, l’article L.2141-8 du Code de la commande publique établit une exclusion similaire, interdisant la participation aux procédures de passation des marchés publics aux personnes impliquées dans de telles manœuvres. Ces dispositions législatives soulignent l’importance accordée à l’intégralité et à la légalité des marchés publics, garantissant leur attribution transparente, équitable et conforme aux principes de concurrence libre et non faussée.

En excluant les opérateurs économiques qui ont tenté de compromettre ce processus, les autorités contractantes peuvent protéger l’intérêt public et préserver la confiance du public dans la gestion des deniers publics.

 Néanmoins, et pour garantir la cohérence entre le droit national et le droit de l’Union européenne, une personne visée par un des causes d’exclusion peut désormais apporter la preuve qu’elle a pris des mesures démontrant sa fiabilité (CJUE, 11 juin 2020, aff. C-472/19, Sté Vert Marine). Si l’acheteur juge ces preuves suffisantes, la personne concernée ne sera pas exclue de la procédure de passation de marché. Il est toutefois à noter que cette possibilité ne s’applique pas lorsque l’opérateur a été expressément exclu par un jugement définitif de participer à des procédures de passation de marché ou d’attribution de concession, pour la durée fixée par ledit jugement.

Décryptage de l’arrêt : clés pour comprendre les exclusions dans les marchés publics

Le Conseil d’État éclaire l’interprétation des dispositions internes à la lumière des stipulations de la directive. Il apporte ainsi des précisions sur la notion de « procédures récentes » (voir également l’arrêt CE, 24 juin 2019, n°428866), que l’acheteur public peut prendre en considération pour exclure un opérateur économique qui, malgré l’invitation à la faire, n’a pas rétabli son professionnalisme et sa fiabilité, ni « que sa participation à la procédure n’est pas de nature à porter atteinte à l’égalité de traitement entre les candidats ».

Le Conseil d’État a rejeté la demande de la société Rénovation Peinture pour plusieurs motifs. Tout d’abord, il a écarté l’argument selon lequel les dispositions du Code de la commande publique contrediraient les règles de la directive européenne sur la passation des marchés publics, soulignant qu’aucune limitation temporelle n’était prévue pour la durée de l’exclusion.

Ensuite, le Conseil d’État a soutenu que le département des Bouches-du-Rhône était légalement fondé à estimer que la société avait tenté d’influencer le processus décisionnel de l’acheteur dans d’autres récentes procédures de marché publiques, en raison de la condamnation de son associé majoritaire moins d’un an auparavant.

De plus, le Conseil a jugé que la société n’avait pas démontré sa fiabilité, notamment en ne prenant pas de mesures pour empêcher son associé majoritaire, toujours en position de contrôle, de s’immiscer dans sa gestion. Enfin, le Conseil d’État a rejeté l’argument selon lequel le département aurait dû exclure la société de toute autre procédure de passation de marchés publics, soulignant que cela n’avait pas d’incidence sur la légalité de la décision contestée.

La décision du 16 février 2024 met en lumière l’importance de la temporalité dans l’application des règles encadrant les exclusions des opérateurs économiques dans les marchés publics. En se référant à la directive 2014/24/UE et au Code de la commande publique, le Conseil d’État souligne que cette temporalité est essentielle pour assurer la légalité et l’équité des exclusions.

Cette approche vise à garantir que les opérateurs économiques ne soient pas pénalisés indûment pour des actes remontant à une période trop éloignée dans le temps, sauf s’ils ont été définitivement condamnés pour ces faits.

 

Source : Conseil d’Etat, 7e et 2e chambres réunies, 16 Février 2024 – n°488524