La saga jurisprudentielle relative à l’articulation des délais applicables à l’action en garantie des vices cachés ne semble pas prête de s’essouffler. En témoigne l’arrêt sous commentaire de la troisième chambre civile.

Dans cette affaire, un maître d’ouvrage avait confié à une entreprise la construction d’un bâtiment. Pour réaliser les travaux de couverture, le constructeur avait acquis auprès d’un fournisseur des plaques de fibres-ciment – ce dernier les ayant lui-même acquises en octobre 2004 auprès du fabricant. Les travaux ont été exécutés la même année.

Se plaignant de désordres affectant les plaques fibres-ciment, le maître d’ouvrage a assigné le constructeur en référé en décembre 2014 et au fond en 2016. Le constructeur a appelé en garantie son vendeur et le fabricant sur le fondement de la garantie des vices cachés (art. 1641 C.civ.).

Il s’agit donc d’un litige entre commerçants.

Conformément à l’article 1648 du code civil, l’action en garantie des vices cachés doit être exercée dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice. En matière d’action récursoire, c’est-à-dire, en l’espèce, d’une action du grossiste contre son fournisseur, se posait alors la question du point de départ de ce délai.

Sous ce dernier aspect, la décision ne pose pas particulièrement de difficultés et entérine une solution qui n’est pas nouvelle (Civ. 3ème, 6 déc. 2018, n° 17-24.111) : « l’entrepreneur [le constructeur] ne pouvant agir contre le vendeur et le fabricant avant d’avoir été lui-même assigné par le maître d’ouvrage, le point de départ du délai qui lui est imparti par l’article 1648, alinéa 1er, du code civil est constitué par la date de sa propre assignation ».

La Cour valide ainsi que le délai biennal de l’article 1648 avait commencé à courir, en l’espèce, au jour de l’assignation en référé expertise du 9 septembre 2014. La décision est cependant cassée dans la mesure où le moyen avait été relevé d’office par le juge et n’avait pas invité les parties à présenter leurs observations.

Pour autant, l’on sait que ce délai de deux ans, dont le point de départ est dit glissant, doit être enfermé dans un autre délai – fixe, celui-ci – pour des raisons évidentes de sécurité juridique. C’est sur ce point que l’arrêt commenté retiendra toute notre attention.

A titre de rappel, la première chambre civile (Civ., 1ère, 6 juin 2018, n° 17-17.438 et Civ., 1re, 8 avril 2021, n° 20-13.493) et la chambre commerciale (Com., 16 janv. 2019, n° 17-21.477) de la Cour de cassation jugent que l’action en garantie des vices cachés doit être exercée dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice – article 1648 du code civil – tout en étant enfermée dans un délai de cinq ans (art. L. 110-4 du code de commerce) courant à compter de la date de la vente conclue entre les parties.

On constate donc que, d’une part, ces deux chambres font jouer le délai quinquennal de l’article L. 110-4 du code de commerce et, d’autre part, que ce délai doit courir à compter de la vente initiale.

Cette solution est particulièrement favorable aux fabricants-vendeurs, mais a été critiquée par la doctrine pour au moins deux raisons.

En premier lieu, les deux chambres font jouer un rôle de « délai butoir » au délai quinquennal de l’article L. 110-4, alors que le délai butoir qui devrait jouer, en principe, est celui de droit commun de 20 ans édicté à l’article 2232 du code civil – du moins pour les ventes conclues postérieurement au 19 juin 2008, date d’entrée en vigueur de cet article.

En second lieu, dès lors que le délai commence à courir au jour de la vente initiale, si un sous-acquéreur agit contre un vendeur intermédiaire, le délai de cinq ans aura potentiellement expiré et le vendeur intermédiaire ne pourra plus faire valoir ses droits contre le fabricant, et ce alors même qu’il n’avait pas connaissance des vices allégués avant d’être assigné.

Ici, la troisième chambre civile en décide autrement. Si elle s’accorde pour faire application du délai quinquennal de l’article L. 110-4 du code de commerce, elle suspend néanmoins son point de départ au jour de l’assignation du constructeur par le maître d’ouvrage. La troisième chambre civile motive richement cette prise de position :

« Sauf à porter une atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge, le constructeur, dont la responsabilité est ainsi retenue en raison des vices affectant les matériaux qu’il a mis en œuvre pour la réalisation de l’ouvrage, doit pouvoir exercer une action récursoire contre son vendeur sur le fondement de la garantie des vices cachés sans voir son action enfermée dans un délai de prescription courant à compter de la vente initiale.

Il s’ensuit que, l’entrepreneur ne pouvant pas agir contre le vendeur et le fabricant avant d’avoir été lui-même assigné par le maître de l’ouvrage, le point de départ du délai qui lui est imparti par l’article 1648, alinéa 1er, du code civil est constitué par la date de sa propre assignation, et que le délai de l’article L. 110-4 I du code de commerce, courant à compter de la vente est suspendu jusqu’à ce que sa responsabilité ait été recherchée par le maître de l’ouvrage. »

C’est donc le droit d’accès au juge qui justifie, pour la troisième chambre, de faire courir le délai quinquennal à compter de l’assignation du constructeur par le maître d’ouvrage s’agissant des ventes conclues avant 2008.

Cet arrêt a été confirmé et précisé par la Cour dans son dernier arrêt du 25 mai 2022 (Civ 3ème, 25 mai 2022, n°21-18.218). La Cour a en effet dans cet arrêt choisi pédagogiquement de préciser le régime s’agissant des ventes conclues avant 2008 et celles conclues postérieurement.

Pour les ventes conclues avant 2008, le point de départ du délai de l’action du constructeur contre le vendeur est suspendu tant qu’il n’a pas été assigné par le maître de l’ouvrage (c’est notamment ce qui a été réaffirmé dans l’arrêt commenté).

Tandis que pour les ventes conclues après 2008, le délai de 2 ans de la garantie des vices cachés est encadré par le délai butoir de 20 ans à compter de la vente prévu à l’article 2232 du code civil (ce qui avait déjà été énoncé dans  par la Cour, Cass. Civ. 3ème, 8 déc. 2021, n° 20-21.439).

Il reste donc à espérer que la chambre plénière de la Cour de cassation se réunira prochainement pour trancher définitivement ce conflit entre les chambres.